Par Nejib Ouerghi Les liaisons entre le couple journalistes-hommes politiques ont été toujours ambiguës, voire impossibles. Parce qu'elles sont souvent fondées sur un jeu d'influence et de suspicion. Un combat où le politique n'a de cesse de chercher à manipuler et influencer les médias afin de mieux contrôler sa propre image et où les journalistes sont prêts à tout pour garder leur indépendance et faire office de contre-pouvoir. Si dans les démocraties, les hommes politiques ont, par la force des choses, appris à exercer leur fonction en tenant compte des médias, il en est autrement sous d'autres cieux où ce combat demeure inégal et où les tentations de manipulation et d'instrumentalisation des médias restent vivaces. Pour le cas de la Tunisie post-révolution, les liaisons médias et politiques n'ont jamais été aussi ambiguës et objet à tant de doutes et de suspicion. La peur éprouvée par certaines parties au sujet de la consécration de la liberté d'informer, de l'indépendance du journaliste et le refus de son instrumentalisation dans l'exercice de son métier semblent être le principal leitmotiv de cette incompréhension et la pomme de discorde qui ne cesse d'alimenter des polémiques qui ne servent que ceux qui ont peur du vrai rôle dévolu aux médias. Aujourd'hui, un peu plus d'un an après la révolution du 14 janvier 2011, et alors qu'on croyait que cette question a été définitivement résolue et que la page de l'information au service exclusif des intérêts du prince a été tournée, on voit de nouveau se poser avec insistance la question lancinante de l'indépendance des médias publics avec l'apparition de pratiques inquiétantes dont les velléités sont loin d'être innocentes. On a l'impression que, même si les temps ont changé, les vieux démons de l'asservissement des médias persistent chez nous. On a encore du mal à accepter un traitement pluriel de l'information, à donner au public un éclairage réel sur ce qui se passe dans le pays, sans maquillage ni tromperie, à voir les journalistes peu prompts à recevoir des ordres ou à sacrifier leur indépendance sur l'autel du simple jeu politique. A défaut d'imposer la loi de l'omerta sur la presse tunisienne, on a trouvé une astuce plus efficace qui consiste à lui faire un harcèlement continu, à déstabiliser tout un corps de métier en l'accusant de tous les maux du monde, en lui livrant une bataille de couleurs pour que la presse perde ses repères et plie sous le poids de l'intimidation et de la pression. La liberté d'informer, chèrement acquise par la presse nationale après la révolution du 14 janvier 2011, que les professionnels du secteur et les représentants de la société civile entendent préserver vaille que vaille, semble de plus en plus déranger notamment ceux qui veulent entendre une seule voix, une seule vérité. La campagne d'intimidation et de dénigrement bien orchestrée contre les journalistes de la télévision nationale depuis maintenant plus de deux semaines, avec l'organisation, à la clef, d'un sit-in de personnes venant d'une même mouvance, montre, somme toute, la difficulté de l'exercice libre et indépendant du métier de journaliste dans notre pays. Les réclamations des sit-inneurs de la télévision tunisienne ne sont-elles pas un peu caricaturales, ne demandent-ils pas d'assainir le journal télévisé de ces personnes qui ne daignent pas cacher les vérités, de soulever un lièvre et de présenter une information complète et contradictoire, qui dérange parfois ? ! Partant, assainir revêt toute une autre signification pour ces protestataires qui n'arrivent pas à se reconnaître dans les programmes politiques de cette chaîne et encore moins dans son JT de 20 heures. Il devient synonyme de pression aveugle pour obliger le monde de la presse à parler d'une même voix et pour qu'il reprenne son vieux rôle de soutien au pouvoir, en changeant simplement d'habit et de couleur. Il faut reconnaître que dans la période transitoire que connaît la Tunisie, ni le JT de 20h de la télévision nationale, ni le débat politique véhiculé par les différents médias, ni les informations colportées par les journaux, publics ou privés, n'ont atteint tout le temps les normes professionnelles admises. Le plus grand enseignement reste, néanmoins, la conscience qui anime la profession, avec toute sa diversité et ses sensibilités, à jouer pleinement son rôle en toute indépendance. Un rôle qu'elle a su assumer avec compétence dans les moments difficiles qu'a traversés la Tunisie post-révolution et aussi à l'occasion des élections du 23 octobre 2011. Aujourd'hui, n'en déplaise à certaines parties que la liberté de ton de la presse dérange, aucun retour en arrière ne sera possible et la presse publique, notamment la télévision nationale, continuera à jouer son rôle de service public loin de tout clientélisme et de toute manipulation. La résistance des journalistes de la télévision, l'élan de solidarité et de sympathie qu'ils ont trouvé auprè de leurs confrères et des représentants de la société civile constituent un signal d'espoir d'une Tunisie qui change, d'une Tunisie qui a soif de liberté, soif d'une presse libre, crédible et indépendante. La responsabilité historique des médias dans cette phase que connaît le pays consiste à ne pas décevoir ces attentes légitimes. C'est le vrai sens du combat des médias dans une Tunisie où la parole ne devrait plus jamais être confisquée.