Les Bouselmiens sont fâchés. Ils sont en colère. Ils menacent de porter plainte contre la direction de gestion des barrages, relevant du ministère de l'Agriculture. Selon eux, l'inondation de la ville, au cours du mois dernier, aurait été provoquée pour sauver Medjez El Bab et Jedaïda... et le Grand-Tunis. Le barrage Sidi Salem a été débarrassé de son surplus, ses plus hautes eaux, pour prévenir sa destruction. «Nous avons été sacrifiés». Le mot a été lâché au cours d'une rencontre organisée, samedi dernier, par le Centre de réflexion stratégique pour le développement du Nord-Ouest; un think tank consacré à l'étude des problèmes de développement spécifiques au Nord-Ouest. Aurait-on dû opter pour une autre solution ? Le débat a été houleux, de haut niveau technique, animé par des experts en hydraulique du côté des conférenciers et d'une bonne partie des participants. L'assistance comptait également des représentants de la société civile. Leur point commun : ils étaient tous ou presque originaires du Nord-Ouest et leur objectif ultime : œuvrer ensemble pour sortir, enfin, cette partie du pays de la marginalisation et lui donner les chances qu'elle mérite pour se développer. Les recommandations issues de ce débat seront proposées au gouvernement. Le château d'eau inondé Depuis sa création, le centre s'est assigné la charge d'élaborer des idées, des scénarios et des recommandations à même d'aider les décideurs à prendre les mesures qui s'imposent pour permettre le développement de cette région dont les capacités naturelles et humaines sont inestimables. Cette fois, c'est de Bousalem qu'il s'agissait, la ville qui a payé la plus grosse facture de quatre mois d'inondations, de novembre 2011 à mars 2012. Pour les Bouselmiens, un seul mot d'ordre, à l'avenir : plus jamais ça. Il faut admettre que ces derniers mois, la nature n'a pas été clémente, mais c'est le Nord-Ouest qui a été le plus sinistré. Après l'envahissement des terres et des maisons par les eaux, la population fait face aux glissements de terrain, aux démolitions des maisons et aux pertes des sources de revenus, bétails, lopins agricoles et autres potagers. Sur le Nord-Ouest pèse de tout son poids un paradoxe que les enfants de cette région ne sont plus disposés à subir ni à supporter plus longtemps. Le Nord-Ouest est le château d'eau de la Tunisie, il alimente tout le reste du pays en eau à longueur d'année grâce à une importante infrastructure de mobilisation des eaux de surface ; pourtant, c'est la région la moins nantie en infrastructures de protection contre les inondations et la plus exposée au manque d'eau et à la soif. Le conférencier, M. Hédi Louati, hydraulicien chevronné, invité à dresser un tableau exhaustif sur l'historique et l'état actuel des inondations dans le Nord-Ouest, ainsi que sur les stratégies de régulation de ces inondations qui ont été adoptés, lèvera le voile sur une politique de mobilisation tous azimuts des eaux de pluie, engagée dès les premières années de l'Indépendance, dont le souci premier était de préserver la moindre goutte de pluie en prévision des périodes de sécheresse. «Dans les pays semi-arides comme la Tunisie, on ne parle pas de protection contre les catastrophes mais de gestion des catastrophes», explique l'expert qui assure, par ailleurs, que les effets négatifs des inondations sont plus gérables que ceux engendrés par la sécheresse; cette dernière étant plus étendue dans le temps au niveau de la destruction des terres et de cultures (65% des agriculteurs déclarent faillite). L'option stratégique pour la grande hydraulique n'est pas un mauvais choix en soi, mais les ingénieurs participant au débat indiquent que les barrages sont très anciens (Mallègue, 1954) et n'hésitent pas à dénoncer la passivité de l'administration concernée au moins pour ce qui concerne la maintenance et l'entretien des ouvrages hydrauliques et les oueds, en l'occurrence La Medjerda. Le dépôt des sédiments dans les barrages et les oueds a réduit la capacité de stockage de ces derniers et engendré leur débordement sur les terres et villes alentour. La ville de Bousalem, située en aval de quatre oueds, a subi plus de dégâts que Jendouba bien que les apports en eaux aient été moins importants (900m3/seconde à Jendouba contre 500m3/s à Bousalem). Parmi les circonstances aggravantes, il faut ajouter l'urbanisation sur le lit majeur de l'oued Medjerda (nouvelle ville de Bousalem) et les prévisions météorologiques qui demeurent à courte échéance empêchant ainsi de préparer convenablement les opérations d'évacuation des populations avant l'inondation. Nouveau plan directeur des eaux du Nord Les solutions existent, selon M. Louati, à condition d'en avoir les moyens financiers et la volonté politique. Car, le dilemme, aujourd'hui, est comment se protéger contre les inondations tout en préservant le développement? Pour M. Kamel Ayadi, à toute chose malheur est bon; et ce genre d'inondations aboutit généralement à des mesures efficaces, comme ce fut le cas à Sfax après les inondations de 1982. C'est, également, le cas après la crue de 2003, «le gouvernement, alors en place, ayant sollicité l'aide des Japonais pour élaborer une étude sur la gestion intégrée du bassin de la Medjerda axée sur la régulation des inondations et la protection des quatre gouvernorats de l'Ouest». Il en a résulté un nouveau plan directeur qui préconise, au niveau de la gestion des ressources, la construction de trois barrages : Mallègue-amont (120MD), Tassa (80MD) et Chafrou (20MD). Deuxième niveau d'intervention : la gestion des plaines avec endiguements et excavation des oueds en plus de la mise en place de deux canaux de dérivation de la Medjerda, respectivement à Bousalem et à Medjez El Bab, pour recevoir seulement le surplus d'eau (les plus hautes eaux) et éviter les crues inondant les villes. L'étude qui prévoit une enveloppe de 700MD préconise, également, la réalisation d'un bassin de dissipation devant recevoir 50 millions de mètres-cubes provenant de l'oued Sebkha. Avant la crue de février de 2012, les délais d'exécution de ce plan directeur étaient étalés sur 20 ans. Ces délais ont été révisés et ramenés à dix ans, de même que Bousalem passe en priorité avec Jédaïda dans l'exécution des travaux. Les premiers résultats sont attendus dans cinq ans si les financements sont mobilisés dans les plus brefs délais. A noter que l'étude japonaise s'est basée en amont sur une enquête d'acceptabilité du projet par la population qui a apporté ainsi son aval sur l'exécution de ce nouveau plan directeur. Ce dernier apporte ainsi de nouveaux rectificatifs au premier plan directeur des eaux du Nord de 1974, actualisé en 1980 puis en 2000.