Depuis sa naissance au milieu des champs de coton du Mississippi à la fin du XIXe siècle, le blues a voyagé avec les noirs américains pour s'installer dans des villes industrielles dont Chicago. Dans cette dernière, il a évolué et est devenu plus «électrique», porté par une génération qui exerce tout simplement «le blues urbain de Chicago». Trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette ville a vu naître Otis Taylor, dont le public de Jazz à Carthage a pu apprécier la musique lors de la soirée de vendredi dernier. Ce ne sont pas les classifications qui manquent pour le blues de cet Afro-Américain aux yeux verts : de «néo-blues» à «Trance-blues» où il se retrouve le plus et auquel il a décidé de dédier un festival de trois jours au Colorado, nommé le Trance-Blues Jam Festival. Après une intro de «Amazing grace», jouée en solo par la violoniste du groupe Anne Harris, la première chanson fut lancée comme pour annoncer la couleur. Il s'agissait de «Ten million slaves» (10 millions d'esclaves), chanson du film «Public enemies» de Michael Mann (2009), dans laquelle il rend hommage à ses ancêtres qui ont traversé l'océan, les chaînes aux pieds. Une douzaine de titres ont suivi, au nombre de ses albums dont le premier date de 1996 (Blue-Eyed Monster) et le dernier de février 2012 (Contraband). L'on pourrait penser à tort qu'Otis Taylor a débuté sa carrière tardivement. Il s'avère que ce bluesman, pas comme les autres, a fait une rupture de vingt ans, où il a été antiquaire et entraîneur d'une équipe cycliste. C'est ce que nous apprend le texte de présentation fourni par l'équipe de Jazz à Carthage, dans lequel on qualifie Otis Taylor de « futur monument du blues ». Les moyens techniques ont été déployés pour la réussite du concert qui s'est déroulé dans de très bonnes conditions, au point de réaliser combien il est vain d'écouter de la musique sur un disque, en comparaison à ce que peut offrir une scène. Tout simplement du live, du direct dans toute sa splendeur, où le public a la possibilité de vibrer avec chaque son et chaque mouvement, qu'il voit naître devant ses yeux. Cette alchimie entre l'artiste et son audience était également au menu de la soirée. Otis Taylor passait d'une chanson à l'autre avec des choukran (merci) puis, harmonica à la main, il est descendu de scène pour faire un tour parmi l'assistance, avant de demander à tous de se rapprocher de la scène. Ses excellents musiciens ont, à leur tour, participé à répandre la bonne humeur dans la salle. Anne Harris, la violoniste-danseuse, Todd Edmunds le bassiste, Larry Thompson le batteur et surtout Shawn Stachursk le lead guitariste étaient à couper le souffle. La voix charismatique d'Otis Taylor couronnait le tout et ses chansons, parlant d'amour et de souffrance, balançaient entre le blues des origines et un autre plus rock, lui permettant même d'interpréter une reprise de «Hey Joe» de Jimi Hendrix. C'est vrai qu'en remontant loin dans le passé, Otis Taylor s'assure déjà une bonne place dans le futur. Un artiste fait pour la scène et à découvrir, certainement plutôt que de préférence, sur scène.