En franche riposte aux interventions musclées des forces de l'ordre lors de la marche célébrant, lundi dernier, au coeur de la ville, la fête des Martyrs, une manifestation a eu lieu, hier en début d'après-midi, sur l'avenue Bourguiba, devenue bel et bien une artère emblématique de toutes les expressions libertaires et contestataires. Le triomphe des libertés, pour ainsi dire. Il est 15h 30 ou presque, le branle-bas de combat. Et ça commence à bouillonner, au pied de la fameuse statue d'Ibn Khaldoun, à Tunis. Tout annonçait un certain mouvement protestataire imprévisible. Un groupe de jeunes dont on ne connaît pas leur appartenance, s'est mis en branle à partir du ministère des Affaires de la femme. Filles et garçons, arborant le drapeau national, ont longtemps scandé plusieurs slogans revendiquant liberté d'expression et droit de manifester. Mais ils ont également demandé la démission du ministre de l'Intérieur, M. Ali Laarayedh, en lui faisant assumer la responsabilité totale des agressions et violences dont ont été victimes, lundi dernier, journalistes, juristes, constituants, intellectuels et hommes politiques. «Plus jamais peur, la rue est la propriété du peuple», «Game over, not try again», «Démission au gouvernement supposé d'intelligence avec l'étranger», sont autant de slogans que les manifestants ont entonné. Des jeunes à bout de nerfs face à des policiers imperturbables. Ayant quitté l'hémisphère parlementaire au Bardo, des membres de la Constituante ont rejoint l'avenue Bourguiba, pour se mêler à la manifestation. Ils y ont défilé, comme si la décision d'interdiction de toute manifestation sur l'artère principale de la capitale n'est plus en vigueur. Représentant certains partis d'opposition, ce groupe de constituants semblait vouloir défier toute mesure répressive. D'ailleurs, ils étaient, dès le début, unanimes pour agir contre la fermeture de l'avenue à toute manifestation. Et, malgré les cordons et barrages sécuritaires dressés à l'occasion, les manifestants ont pu continuer leur marche pacifique. Arrivés au siège du ministère de l'Intérieur, certains parmi eux ont été reçus par M. Ali Laarayedh qui n'a pas manifesté son intention de revenir sur sa décision, tout en acceptant, cependant, que la Constituante désigne une commission d'investigation neutre et indépendante pour déterminer les responsabilités (voir autres détails dans notre compte rendu sur cette rencontre). Dans le brouhaha de la foule et avec la confusion qui a prévalu sur l'avenue, des commerçants ont fermé boutique. Dans la foulée, de vives réactions à l'égard de la mesure interdisant toute manifestation sur l'avenue Bourguiba, des commerçants de la médina de Tunis ont observé, au même moment, un sit-in devant l'Office national du tourisme tunisien (Ontt). Soutenant cette mesure qui leur est favorable, ces commerçants ont défendu l'idée de fermer cette avenue à toute manifestation, car, expliquent-ils, la multiplication exagérée des marches si pacifiques soient-elles, les empêche d'exercer normalement leurs activités. «Elles nous ont causé des pertes considérables», déplore M. Habib Souid, commerçant représentant la chambre régionale des artisans de Tunis. Et d'ajouter qu' à l'instar des événements et des sit-in d'El Kasba 1 et 2, tout défilé sur l'avenue Bourguiba est en mesure de paralyser le rythme des activités dans la médina, d'autant plus qu'il pourrait déranger les flux des touristes et les empêcher d'y parvenir. L'avenue Bourguiba est pour nous le poumon par lequel nous respirons. C'est aussi le vaisseau qui nous injecte du sang neuf à nos commerces...», a t-il encore soutenu. D'autres commerçants n'ont pas manqué de demander aux autorités de mettre un terme définitif aux manifestations, criant haut et fort halte au désordre et au chaos. Alors que certains ont suggéré de les transférer ailleurs.