Actuellement, la Tunisie n'a officiellement qu'un seul emblème, le drapeau rouge avec en son milieu un disque blanc où figure un croissant rouge qui entoure une étoile à cinq branches. Néanmoins, de nombreux autres symboles se sont succédé au cours de l'histoire du pays bien avant l'avènement du drapeau national. Dans le domaine culinaire, le couscous en est un et est probablement le plat le plus connu à l'étranger. Dans la mesure où nous partageons ce plat avec nos voisins, il ne saurait constituer une bannière authentique et distinctive de notre cuisine. Un autre mets, très prisé, qui est à lui seul un repas à part entière, revendique son appartenance exclusive à la Tunisie: c'est le shan tounsi, dont la dénomination renvoie à une identité déterminée non pas tant par une appartenance territoriale que par la reconnaissance d'une culture, un savoir-faire et un mode de vie profondément tunisiens. Passons en revue sa composition : de la salade méchouia (poivrons, piments et tomates grillés, épluchés, épépinés, pilés et assaisonnés d'ail, de tebel, de sel et de poivre), de la salade de carotte, de la salade de courgette, des quartiers de pommes de terre cuites à l'eau, des lamelles de tomates et de concombres frais, des légumes en saumure, oummâlah (chou-fleur, carotte, branche de céleri, bulbe de fenouil, navet, piment et citron), des câpres, des olives vertes et noires, de la harissa, du thon en abondance, de l'huile d'olive, le tout présenté autour d'un œuf poché. Tous ces ingrédients, hormis l'œuf évidemment, peuvent constituer les éléments du casse-croûte tunisien lorsqu'ils sont fourrés en sandwich dans un petit pain italien dit « jacquot ». Ce plat, emblématique de l'alimentation de rue, est d'abord une composition de couleurs destinée à séduire le regard car la disposition de ses différents éléments obéit à un agencement d'ingrédients savamment hiérarchisé : le jaune et le blanc de l'œuf rayonnent au centre du plat entourés du rouge, de l'orange et du vert des salades. Eparpillés par-dessus, s'entassent olives, pommes de terre, concombre, tomates, piments et miettes de thon; le tout arrosé d'huile d'olive et de harissa. Le pain sert aussi bien de couvert naturel que d'accompagnement. Cet univers d'ingrédients semble résumer toute l'histoire culinaire de la Tunisie. Il est d'abord une survivance des pratiques antiques : céréales, huile d'olive, légumes et poisson. Il est ensuite un témoignage d'une histoire faite d'échanges, d'emprunts, d'adaptation et d'acclimatation : épices des Antilles, légumes d'Amérique (piment, tomate, pomme de terre), plantes aromatiques d'Afrique. Il résume enfin tout le savoir-faire, toute l'ingéniosité de ces gargotiers anonymes qui ont su transformer ces éléments disparates en un plat de confluences culturelles et culinaires.