C'est parce qu'elle voulait revenir à l'essentiel, au fondement même de l'art, que Aicha Gorgi a invité un groupe d'artistes à travailler sur «La Matière». Point ne fut besoin de beaucoup les pousser, car tous, d'une façon ou d'une autre, avaient ressenti ce besoin.«J'avais envie de revenir à la peinture. Longtemps, j'ai organisé des expositions hybrides, de peinture, sculpture, photo, vidéo, parce que cela m'interpellait et passionnait mes artistes. Aujourd'hui, j'ai eu envie de revenir à l'univers de la peinture et de la matière». Et ce n'est donc pas par hasard qu'elle sélectionne les six peintres qui exposent actuellement sur ses cimaises. «Il était intéressant pour moi, de revenir à nos artistes premiers». Et le premier d'entre eux, celui que la galeriste considère à juste titre comme l'un des meilleurs artistes vivants, Rafik El Kamel. Celui-ci présente une véritable symphonie, notes colorées qui se succèdent, vibration de la matière, de la couleur et du dessin, manifestation accomplie d'une maturité triomphante. Rafik El Kamel va droit à l'essentiel. Tout est bon dans cette illustration parfaite de la quintessence de l'expression artistique, et le reflet de cinquante années de travail Moins connu sur la scène artistique tunisienne, parce que vivant à l'étranger, Ridha Ben Arab présente deux œuvres magistrales, «Rouge et Noir», monochromes de grande puissance, et de belles profondeur. Ridha Ben Arab, à l'aise dans les grands formats, développe une matière qu'il mêle à du sable. Son rouge vibre, intense, claquant, tout de tension. Son noir à la Soulage, s'approfondit de multiples épaisseurs, et irradie de luminosité. Il y sculpte des lettres, qui y inscrivent le relief, sans jamais être de la calligraphie, mais des dessins qui s'expriment, et l'expriment, coup de force, coup de gueule d'un artiste et de son désir de s'exprimer. Maturité aussi d'un Tahar Mguedmini qui se remet en question, et interroge son positionnement dans une société en mutation. Lui aussi revient à l'essentiel, épure, stylise, allège et approfondit, et rend sa primauté à la matière. Chez Rym Karoui, la matière est ludique, claquante, brillante et colorée. Elle donne envie de la toucher, ce qui est le plus beau signe de sa présence. Son choix de la résine est dicté par sa curiosité, sa gourmandise esthétique qui lui donne envie d'aller vers autre chose, de découvrir une nouvelle façon de travailler. La matière est si présente, là, qu'elle déborde les deux dimensions, descend des cimaises, et prend de l'épaisseur en sculptures, toujours sur le registre ludique : les chats qu'elle présente suscite une seule envie: les caresser Baker Ben Fraj, nouvel invité de la galerie, est, lui aussi, l'artiste de la maturité harmonieuse. Ses toiles explosent en un éparpillement harmonieux de couleurs et de formes, un éclatement équilibré, une structure irradiée à laquelle la maîtrise de la matière donne toute sa cohérence Dernière arrivée, Ymen Berhouma, espoir prometteur de la jeune génération, sur laquelle ce redoutable détecteur de talents qu'est Aicha Gorgi a choisi de miser. Son travail s'inscrit totalement dans la recherche de la matière, et même ses maladresses sont intéressantes. Une exposition superbe, qui reflète non pas l'air du temps, mais sa morale et sa philosophie, ce besoin de se remettre en question, d'alléger, d'épurer, de revenir aux choses justes, en un mot d'aller à l'essentiel.