«Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un prascenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse...» (Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal) Le théâtre et la danse sont deux types de spectacle qui peuvent mettre celui qui y assiste sous tension. En effet, des rôles et des postures sont incarnés par l'humain dans ce qu'il a de plus noble. En face de soi, on a un homme qui s'est mis à la disposition de l'idée, du concept, de l'universel. Un homme au service des autres hommes qui le regardent et reçoivent son message comme un hymne à l'humanité. Avant-hier, le théâtre Phou nous a épatés au sens propre du terme. Le spectacle «Facebook», fondé sur la chorégraphie, la musique, l'image et les mots, est un travail qui a abouti. Sans brusquer le spectateur, il est arrivé à le mener au bout de sa capacité d'écoute et aux limites de son pouvoir à capter l'image. Le message transmis par le discours direct, dit surtout par Raja Ben Ammar et Moncef Sayem, oscille entre les banalités quotidiennes et la réflexion élaborée. Il veille à déjouer le mélodrame, accuse le nombrilisme pour en arriver à l'analyse politique, faisant allusion aux différents systèmes par lesquels est passée la Tunisie et auxquels elle est encore soumise. Sans tomber dans l'excès, le spectacle a veillé à citer les préoccupations et à représenter les moyens d'expression du Tunisien qui ne se tait pas et c'est la vocation du théâtre Phou. Les bloggueurs étaient là avec l'angoisse due au besoin de contacter l'autre, de l'impliquer pour communiquer tout simplement ou bien pour lui transmettre un malaise existentiel, conséquence directe de la solitude qui investit la société tunisienne qui se modernise. Les rappeurs, musique et danse confondues rythmées par les battements du cœur, ont su transmettre une émotion certaine, même si on n'a pas toujours adhéré à leur discours, tout de refus mais pas toujours consistant. Le but du spectacle, plaire d'abord, dire ensuite, impliquer surtout un spectateur en le mettant en face, mais tout en beauté, car sublimée par l'art, sa réalité quotidienne de Tunisien qui a vécu une révolution. Révolution? Soulèvement? La femme qu'incarne Raja Ben Ammar n'est pas le seul personnage qui a des doutes. Le spectacle sème le doute et donne l'impression que toute une société communique mais se trouve en même temps victime d'une cacophonie où le principe féminin, fondement du bien social et source de génération, est menacé. Un spectacle encore plus dense que ce qui vient d'être noté, bien travaillé. «Facebook» est un hymne au corps et un plaisir pour l'esprit. Bravo à tous les acteurs, à Raja Ben Ammar et à Moncef Sayem surtout, sur qui l'âge n'a pas d'emprise, ni sur l'esprit ni sur le corps, leur performance ayant été tout simplement époustouflante.