Un lit brisé, dont la moitié est accrochée sous le plafond et dont la literie s'éparpille à mi-chemin du sol, un cube de confettis noirs qui chantent l'éphémère et sa noirceur, une rangée menaçante de ciseaux, prêts à couper une parole trop libre, des volutes d'épingles, à la fragilité acérée, dessinent une géographie à peine palpable sur les murs blanchis de neuf du musée de Carthage, une boîte noire diffuse en boucle des vidéos qui racontent des histoires éternelles et inédites, un étendard noir s'attendrit de jasmins et promet que tout finira en parfum. Nous sommes au musée de Carthage qui a subi, signalons-le, un sérieux coup de jeune et qui accueille, dans le cadre de l'évènement «Carthage Contemporary», l'exposition «hkoun Ahna ?» montée par deux jeunes commissaires : Khedija Hamdi, historienne de l'art, et Timo Linke Kaâbi, critique d'art. L'évènement en soi, «Carthage Contemporary», que l'on souhaite biennal, comporte une exposition en un lieu symbolique et sur un thème fédérateur, une série d'artists' talk se tenant à l'Acropolium voisin, l'organisation d'un circuit de visites d' une série de galeries associées à l'évènement, exposant sur le même thème, puis la projection d'une série de reportages sur les minorités religieuses en Tunisie. L'exposition de cette première édition pose et se pose la question : «Chkoun Ahna ?» (qui sommes-nous) Et pour essayer d'y répondre, les commissaires ont invité des artistes en provenance de pays qui, tous, ont eu une influence historique sur la Tunisie : l'Italie, le Liban, la Turquie, la France, l'Espagne, l'Algérie, le Maroc, l'Arabie Saoudite. Chacun à sa manière, confronté à ce lieu exceptionnel, au cœur d'un site archéologique où les strates de l'Histoire transparaissent, et où l'actualité se superpose aux origines, en un télescopage fécond, a essayé de répondre à cette question, à l'aune de ce qui lui était offert : Smaïl Bahri, par le dérisoire de ses épingles flèches, Nadia Kaâbi par l'espoir que les jasmins, même flétris, l'emporteront sur les noirs étendards, Felix Hernandez par la volonté de rupture, de brisure irréconciliable, Ahmed Mater par l'énergie cinétique que dégagent ses photos de la Kaâba, Kader Attia par la symbolique de sa vidéo consacrée au dôme du rocher, Lara Favaretto par la sombre fragilité de son cube de confettis noirs. Les mosaïques éternelles qui habillent les sols et les murs du musée, seules nous diront s'ils ont tort ou raison. En attendant, à l'Acropolium voisin, des débats animés par le docteur Anthony Downey, directeur de l'Ibraaz, réunissaient artistes, critiques, journalistes et curators tunisiens et étrangers, et l'on y projettera une série de courts métrages sur «Les minorités religieuses en Tunisie» produits par Zouhir Latif. Quant aux galeries environnantes, à Sidi Bou Saïd, la Marsa, La Soukra, mais aussi à Tunis, elles se faisaient partie prenantes de l'évènement «Carthage Contemporary» par des expositions sur le même thème, et évoluant sur la même problématique. La scène artistique tunisienne s'est mobilisée autour de l'évènement, offrant une belle synergie à «Carthage Contemporary», et lui augurant des lendemains qui chantent.