La liberté de la presse et le décret-loi 115 font encore l'objet d'une controverse, où les journalistes, les juristes et les représentants de la société civile s'inquiètent sur le devenir du secteur. Le débat engagé et la polémique suscitée, hier, au sein de la bibliothèque de l'Ordre national des avocats de Tunisie, a été une occasion renouvelée pour repenser la place du secteur de l'information en cette période de transition et nous pousse davantage à la vigilance qu'à l'optimisme. De l'avis des professionnels du secteur et de la société civile, la liberté de la presse tant défendue et non acquise à ce jour mérite que l'on s'appesantissent sur les blocages qui persistent et sur la tentation du contrôle. La table ronde organisée, hier, par l'Ordre national des avocats de Tunisie, sur «la liberté de la presse et ses limites», a suscité, comme à l'accoutumée, un débat passionné sur une réalité complexe, mais sans aboutir à la proposition d'aucune piste sérieuse. M. Ridha Jenayeh, juriste, devait préciser que ledit décret 115 a été mis en place durant la première période de transition qui a précédé l'élection de la Constituante. «Mais tous les textes du décret-loi 115 ont fait l'objet d'une polémique après la décision du gouvernement d'organiser une consultation nationale sur le secteur de l'information. Suite à cette polémique, le gouvernement a pris l'initiative de réviser ces textes et d'introduire des rectifications, en mobilisant des avocats pour assurer cette mission. Cette initiative émane de la conviction profonde d'écarter tous ceux qui ont participé à l'écriture de ces textes», précise M. Jenayeh qui, rappelons-le, était l'un des experts associés à la rédaction du texte. Sur le rôle que doit jouer le secteur en cette période, le conférencier n'a pas manqué de rappeler que les agressions verbales et physiques contre les journalistes, les actes de violence et les attaques multiformes ont porté atteinte au secteur, «sans que le pouvoir exécutif n'intervienne ou du moins ne manifeste son mécontentement». A ceux-ci s'ajoutent les contestations successives, dont le sit-in qui a duré plus de 60 jours devant le siège de la Télévision nationale à l'effet d'intimider les journalistes de cette institution qui ont été taxés de tous les noms et de tous les maux, ainsi que la volonté de privatiser les médias publics. Et aux yeux du conférencier, tout cela ne montre «en aucun cas une véritable volonté politique du gouvernement d'engager une réforme du secteur et de réaliser la transition démocratique». Et M. Jenayeh de souhaiter «le renforcement du processus démocratique et la mise en œuvre d'une constitution garantissant les libertés fondamentales, en prévision des prochaines élections», afin que ce secteur puisse accomplir sa mission, qui consiste entre autres à critiquer et à évaluer les actions du gouvernement. «L'objectif étant d'éclairer l'opinion publique et d'informer objectivement le citoyen, après l'abus de pouvoir commis par le gouvernement en lançant la consultation nationale sur la réforme de la presse. Une décision qui illustre l'intention du gouvernement provisoire d'utiliser les médias à son avantage. D'où la nécessité de créer une commission indépendante et spécialisée dans le domaine des libertés fondamentales et du droit constitutionnel, chargée de la révision des lois régissant le secteur de l'information», indique M.Jenayeh. De son côté, M. Kamel Laâbidi, président de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric), a dû rappeler que le gouvernement a exclu toutes les parties concernées en lançant la consultation nationale sur la réforme du secteur de l'information, ce qui correspond au non-respect de la neutralité et de l'objectivité. Il a indiqué par ailleurs que l'Inric a demandé au gouvernement de reporter la date de la consultation pour qu'il puisse prendre connaissance du contenu du rapport final de l'Inric mais que celui-ci a ignoré cette demande et continué dans sa démarche. «Ce que nous souhaitons aujourd'hui, c'est d'instaurer une presse libre et indépendante, qui repose essentiellement sur la réflexion et la concertation avec toutes les parties concernées ainsi que le rejet des méthodes de l'ancien régime visant à induire en erreur l'opinion publique. Les journalistes ont aujourd'hui des craintes liées à des signes qui suscitent l'inquiétude dont les agressions, les nominations à la tête des entreprises de presse sans aucun critère...», conclut M. Laâbidi