Par Jawhar CHATTY Disons-le d'emblée : même inéluctable, un départ de la BAD de la Tunisie sera aujourd'hui autrement ressenti par le pays et par les Tunisiens que ne l'avait été, il y a déjà bien longtemps, une autre époque pour les jeunes Tunisiens de 20 ans, le départ de la Ligue arabe de Tunis vers Le Caire. Les jeunes Tunisiens de cet âge, dont la grande majorité est aujourd'hui diplômée et au chômage, sont foncièrement apolitiques. Leur seul acte politique majeur est d'avoir fait la révolution. Et de se considérer être aujourd'hui et demain les véritables gardiens de ses valeurs. Ces valeurs ont essentiellement pour noms : liberté et dignité. La dignité d'avoir un revenu par l'emploi et la liberté de dire leur indignation chaque fois qu'ils considèrent que la dignité de la Tunisie et de son peuple est bafouée. L'on garde tous à cet égard cet élan qu'a spontanément eu la jeunesse tunisienne modérée quand le drapeau national avait été, furtivement et coupablement, abaissé. Cette jeunesse est peut-être apolitique, mais cette jeunesse qui surfe aujourd'hui à merveille sur la vague de l'internet et qui est la matrice même des réseaux sociaux, cette jeunesse-là a le sens de la symbolique et est jalouse du respect des symboles. Détrompons-nous donc : un jeune du Kef ou de Kasserine saura aujourd'hui apprécier le sens et la portée d'un départ de la BAD de la Tunisie. Comme il saura être en mesure de voir qu'avec le départ de la BAD, le pays risque de perdre, même symboliquement, un sérieux vecteur de son rayonnement à l'échelle internationale. . La présence en Tunisie de l'une des plus importantes institutions financières internationales a des incidences à la fois directes et insoupçonnées sur la dynamique aussi bien économique que sociale du pays. Tout au long des dix ans de présence en Tunisie de cette haute institution avant tout dédiée au développement des pays africains, dont bien évidement la Tunisie, les Africains, aussi bien anglophones que francophones, ont tissé des relations fortes avec les Tunisiens. Et c'est encore à la jeunesse tunisienne numérique qu'il appartient d'en témoigner : sur facebook, le temple de la communication intergénérationnelle, l'entente et la synergie entre les étudiants africains et leurs amis « virtuels » africains n'ont, parait-il, jamais été aussi fortes qu'aujourd'hui ! Pour ces jeunes, dont le film culte est Il faut sauver le soldat Rayan, le maintien, même encore temporairement, de la BAD en Tunisie procède du même esprit. L'indifférence que semble manifester le gouvernement vis-à-vis de cette entreprise les laisse pour le moment interdits. Surtout qu'aux assises de la BAD à Arusha, en Tanzanie, les pressions se font de plus en plus persistantes de la Côte d'Ivoire pour hâter le départ de la BAD de Tunis. D'autant plus qu'on sait que, même inéluctable, ce départ ne pourra être que temporaire puisque le siège à Abidjan ne serait, selon toute vraisemblance, définitivement opérationnel que dans trois ans, dans le meilleur des cas. Puisque la BAD serait ainsi amenée à investir ailleurs et de nouveau dans le temporaire, autant tout faire pour la retenir, le plus longtemps possible et même temporairement, en Tunisie. C'est cette logique, peut-être un peu naïve, que défendent les jeunes Tunisiens. Ces derniers ne sauraient dès lors comprendre qu'aucun poids lourd du gouvernement et plus largement de la Troïka au pouvoir ne soit représenté aux assemblées annuelles de la BAD pour défendre les positions de la Tunisie et tenter de sauver le soldat Rayan, en l'occurrence la BAD.