Par Nejib OUERGHI La démission du conseiller économique du président de la République, la tournée mouvementée des membres du gouvernement dans les régions intérieures du pays pour présenter les programmes et projets contenus dans le budget complémentaire 2012 et la polémique suscitée par les données statistiques publiées récemment par l'INS sur les résultats de l'économie tunisienne au cours du premier trimestre de l'année en cours ont polarisé l'attention. D'emblée, l'on peut dire que les difficultés économiques que connaît le pays ont produit, dans presque toutes les régions intérieures du pays, une sorte de déception, pour ne pas dire de rejet. La qualité des programmes et des projets présentés aux habitants et leur décalage vis-à-vis de leurs vraies attentes ont produit des réactions parfois disproportionnées de désappointement et de colère. Même s'il est impossible pour le gouvernement provisoire de trouver des solutions, rapides et acceptables, à un chômage qui ne finit pas de basculer les jeunes dans le désespoir, à des régions qui sont restées, des décennies durant, les laissées-pour-compte du développement et à des attentes sociales pressantes que de simples expédients ne sauraient taire, il aurait été préférable d'agir autrement en faisant valoir le langage de la vérité. Dépêcher des ministres partout dans le pays est certes utile pour prendre le pouls des régions et avoir une appréciation claire sur les questions qui préoccupent. Face à la grogne et au bouillonnement qui ne cessent de s'amplifier, faut-il répéter à tout vent que les projets programmés allaient tout changer et tout améliorer alors que la situation sur le terrain ne cesse de se dégrader? Toute la question est là ! A trop vouloir sortir le pays du marasme dans lequel il ne cesse de se débattre, on a versé dans les promesses qu'il est difficile de tenir ou de concrétiser au détriment d'actions en profondeur qui auraient pu mettre la machine économique sur les rails. Autre fait, une nouvelle polémique. Depuis la publication par l'INS du taux de croissance du premier trimestre de 2012, tout un débat a été engagé sur la signification de ce taux de 4.8%. Des journalistes, des avocats, des agronomes, des macroéconomistes... ont tous participé à cette polémique autour de ce chiffre, essayant, chacun selon sa lecture et ses compétences, d'apporter un éclairage ou jeter le doute sur sa pertinence. Aucun conjoncturiste n'a daigné intervenir pour apporter son témoignage ou affiner l'analyse des données publiées. A l'évidence, l'Institut national de la statistique a publié une note complètement sèche ne contenant aucune analyse digne de ce nom, laissant un public, peu averti, dans le flou total. Quelques membres du gouvernement ont même fait de ce chiffre un cheval de bataille contre la dégradation de la note de la dette à long terme de la Tunisie à «BB» par l'agence de notation américaine Standard and Poor's. Pourtant, ce chiffre doit être interprété à sa juste mesure et dans un cadre temporel infra-annuel. La comparaison de deux glissements successifs peut traduire un faux diagnostic en présence de chocs ponctuels, étant donné que le glissement est fortement sensible aux points aberrants. La série du PIB trimestriel a connu un accident au début de l'année 2011, sous le gouvernement Ghannouchi, rattrapé légèrement lors du 3e trimestre 2011. Le glissement annuel traduit assez mal les phénomènes d'accélération ou de ralentissement du PIB trimestriel. Il est comparable au cas d'un conducteur qui parcourt une distance de 100 km pendant une heure et qui juge qu'il a roulé à une vitesse de 100 km/h pendant tout le trajet. Non maîtrisée, cette méthode peut amener à comparer un taux de croissance annuel au premier glissement de l'année. Dans le cas d'un choc rattrapé ou d'une accélération ponctuelle, la variation du cumul souffre des mêmes insuffisances que le glissement et parfois à un degré plus fort. En effet, dans le cas du PIB trimestriel, malgré une tendance modérément à la hausse, on assiste au début de l'année 2012 à une hausse très forte passant de -1.8% pour l'ensemble de l'année 2011 à +4.8% au cours du premier trimestre. Ce manque d'homogénéité des concepts utilisés peut fausser toute interprétation. L'interprétation des taux de croissance trimestriel en termes de glissements doit être prudente. C'est le cas, lorsque certaines« personnes » ont essayé de montrer que le taux de croissance du dernier trimestre 2011 (-1.4%) ajouté au taux de croissance du premier trimestre (+4.8%) donne une croissance de 6.2%. C'est simplement absurde. Il faut souligner, par ailleurs, que la relation entre la croissance et le nombre d'emplois créés n'est pas linéaire. Certains articles parus dans les journaux parlent d'une création de 16 mille emplois pour un point de croissance rappelant ainsi les messages véhiculés par l'ancien régime. Un membre de l'opposition est allé même trop loin pour prétendre que ce taux de croissance de 4.8% doit créer 70 mille emplois. En fait, ce chiffre indique simplement une tendance à court terme d'une légère amélioration de la situation économique, comparée à celle qui prévalait en 2011. Faire dire à ce chiffre plus qu'il n'en faut mène à une confusion dans les débats entre l'analyse conjoncturelle à court terme et la réflexion sur les difficultés structurelles d'une économie basée sur un modèle de croissance en faillite depuis quelques années. Moralité de l'histoire : toute politisation incontrôlée des données statistiques ne mène pas très loin et rend toute interprétation encore plus hasardeuse que floue. Enfin, la démission du conseiller économique du président de la République n'a pas surpris outre mesure. Pour avoir failli au devoir de réserve, avec deux autres conseillers, Chawki Abid a été le maillon faible. Il était presque sûr que se débarrasser de cette personne ne provoquera ni remous et encore moins de réactions hostiles. Pour le cas du conseiller économique du président de la République, la question qui se pose est la suivante : Chawki Abid a-t-il volontairement démissionné ou plutôt contraint à la sortie ?