Les rencontres internationales de la musique alternative de Carthage sont, pour leur première session, arabes, et c'est déjà beaucoup. Bien que la jeune scène underground commence à prendre de l'ampleur dans les pays de la région, elle n'a pas encore assez de relais. D'où l'importance d'une manifestation comme «Mousiqa wassalem», la première en son genre dans notre pays et qui, de plus, prend la forme d'un festival. Dans la soirée du 16 juin, c'est avec Tamer Abu Ghazaleh et Neshez que le public avait rendez-vous. La levée du couvre-feu a permis le retour du concert à son horaire de départ : 20h30. Quelques minutes plus tard, le Palestinien installé en Egypte, Tamer Abu Ghazaleh, et sa troupe composée de lui au luth, et de trois musiciens, à la basse, à la batterie et au synthétiseur, sont montés sur scène. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'agit d'un artiste porteur d'un projet, dont les piliers ne sont autres que la force de la composition et des paroles. Ces dernières sont sélectionnées dans les recueils des poètes arabes les plus raffinés, qu'ils écrivent en arabe littéraire, en dialecte égyptien ou palestinien, comme dans les écrits mêmes de Tamer Abu Ghazaleh. «Takahbot», «Mahrajan al ballaât» et «Khabar ajel» font partie d'un répertoire où il est auteur-compositeur-interprète. Elles sont venues à la fin de la performance, précédées par des titres comme «Hob», sur des paroles de Qais ibn al-Mulawwah, «Namla» de Tamim Barghouti ou encore «Helm», «Alama» et «Dawama». Quant au talent du compositeur de Tamer Abu Ghazaleh, il impose vraiment le respect. Il s'inspire de tous les genres pour habiller les paroles de ses chansons, à chaque fois d'une couleur. Il n'a pas peur de puiser dans les rythmes de la chanson égyptienne populaire, lui donnant un air plus savant avec les variations qu'il y introduit. Il n'a pas peur non plus d'insérer un air de «La panthère rose», au beau milieu d'un passage musical sérieux et de paroles sérieuses. Sur cette même corde, ont longtemps joué et jouent encore les Neshez, groupe tunisien installé en Allemagne et presqu'inédit sur les scènes tunisiennes. Il suffit d'écouter quelques-uns de leurs titres pour comprendre pourquoi. Le «neshez» (dissonance), crée par le duo Skander Bouassida et Heykal Guiza, traduit le choix d'être à la marge de ce qui se fait de léger et d'artistiquement insignifiant —du point de vue créativité et innovation— sur la scène musicale tunisienne. Les paroles en dialecte tunisien sont portées par le luth, la guitare, la basse et les percussions. Elles parlent d'injustice et de liberté comme «Nakrah», ou rendent hommage à «Ouled bambara», les habitants de l'Afrique. Le groupe Neshez s'est également essayé à toutes sortes de reprises, de l'hymne national, aux mouachahats, comme «lamma bada yatathana» et même à une version arabe de «Sun is shining» de Bob Marley, tous trempés dans leur sauce spéciale, faite de la rencontre des genres auxquels appartiennent initialement les mélodies de ces chansons. Et ainsi, entre Tamer Abu Ghazaleh et les Neshez, se manifeste une nouvelle identité sonore (arabe?) qui s'inspire avec intelligence de tout ce qui est beau, musicalement parlant, tout en ayant comme épine dorsale, le fameux vieux oud arabe qui n'a pas peur de montrer, grâce à eux, les multiples facettes de sa personnalité, parfois même les plus surprenantes.