Je t'ai connu un vendredi après-midi du printemps 1959. Nous t'avons accompagné à ta dernière demeure un vendredi après-midi du printemps 2012. Nous étions tes coéquipiers, tes amis, tes fans, tes entraîneurs, tes dirigeants et des jeunes qui n'étaient pas nés quand tu étais vedette. Mourad Boularès tu étais et Mourad Boularès tu resteras pour le handball tunisien. Tu as été un grand parmi les grands et comme disait ton compagnon et coéquipier Moncef Oueslati: «tu aurais pu être le plus grand si tu avais duré dans le temps». Ton aventure de gardien de but a commencé ce fameux vendredi du printemps 1959. Nous nous entraînions, toi et moi, au saut en longueur dans les locaux de la Zitouna Sport, jadis à Bab El Khadra. Un monsieur est venu vers nous. Il nous a demandé ce que nous faisions. Nous lui avons répondu d'une même voix : «Vous voyez, nous préparons notre compétition scolaire de saut en longueur», toi pour le Collège Sadiki et moi pour le Lycée technique de Tunis (ex- Emile Loubet). Ce monsieur n'était autre que Sadok Hmadi, un des pionniers du handball tunisien. Il était joueur, entraîneur, dirigeant et membre fédéral. Il nous a alors demandé de le suivre pour signer une licence car l'équipe cadette de la Zitouna Sport manquait de joueurs. Dans toute la Tunisie, il y avait à peine deux cents licenciés de hand ball. Après quelques essais, il a vu en toi un grand gardien de but. Tu le seras. Tu le fus. Anouar Osman a contribué à ta formation. Feu Abdelhamid Ben Lamine et son fils Chérif t'ont remarqué et ont tout fait pour t'emmener au Club Africain quand la grande équipe de la Zitouna Sport a implosé pour donner naissance à la fameuse équipe de l'ASPTT. Tu t'es imposé parmi les meilleurs keepers du moment, notamment Hassen Mejeri, Moncef Oueslati, Mustapha Khalladi, Charfeddine Ben Ammar, Férid Ben Aissa... Que ceux que j'ai oubliés me pardonnent. Tu es devenu un grand gardien de but, je suis devenu journaliste amateur. Nous poursuivions nos études, toi pour devenir interprète international et moi pour devenir ingénieur aéronautique. A Paris, tu as fait un passage remarqué dans le Paris Universitaire Club, le fameux PUC. Dans les grandes occasions et surtout lors des rencontes entre le Club Africain et l'Espérance Sportive de Tunis, tes coéquipiers et tes fans se côtisaient pour payer ton billet d'avion afin que la cage clubiste soit bien défendue. En janvier 1967, nous avons vécu, en Suède, un évènement mémorable. Notre team national, avec sa pléiade de vedettes, est allé participer au championnat du monde. Pour sa première participation, la Tunisie n'a pas démérité. Elle a même tenu la dragée haute aux fameuses équipes européennes, notamment la France. La Tunisie s'est classée onzième juste avant le Canada qui a fermé la marche. Cette aventure mondiale, nous la devons à feu Slim Ben Ghachem, président de la Fédération tunisienne de handball, qui, entre 1966 et 1974, a mis le handball tunisien sur les rails, lui donnant sa première grande impulsion. C'était un homme de défi. Il a osé et il a réussi. Jeune journaliste, j'ai relaté à travers le journal Le Sport les grands moments de cette fête du handball mondial. Ta vie, ami Mourad, a été bien remplie Tu as réussi ta brève «carrière» sportive Tu as réussi à garder tes amis Tu as réussi ta vie familiale, laissant derrière toi des enfants épanouis, brillants et bien élevés. A l'aube de ton départ pour le Paradis éternel, tu as oublié ta souffrance et ta maladie pour t'inquiéter du sort de notre chère Tunisie. Repose en paix car la Tunisie restera le pays de la tolérance, de la fraternité et de la sagesse où les sportifs, les artistes, les intellectuels, les laborieux qu'ils soient musulmans, juifs, chrétiens ou orthodoxes vivront ensemble dans la sérénité et le respect de l'autre. Pour finir, je voudrais m'excuser, ami Mourad, d'écrire ces quelques lignes un mois après ton départ. Je n'ai pas pu le faire avant car l'émotion qui m'a saisi, ce 26 mai 2012, a bloqué mes neurones, asséché ma plume et chassé mes muses.