Il est assez prévisible qu'une affaire en justice, dès lors qu'elle comporte une certaine dose de complexité, ne soit pas examinée dans le fond dès la première audience. Mais c'est encore plus vrai lorsque l'affaire en question prend une tournure politique passionnée... Et, passionnée, l'affaire qui met en cause le doyen de la faculté des Lettres de la Manouba l'est assurément. Comment ne le serait-elle pas alors que le personnage du doyen de faculté, qui symbolise l'ordre du système universitaire, se trouve traîné en justice par une étudiante ? Indépendamment du bien-fondé de l'accusation portée contre lui, il s'agit d'un précédent. D'autant plus que, pour la masse des enseignants du supérieur, le doyen en question incarne l'exemple d'une lutte héroïque contre ceux qui, au nom de la religion, veulent introduire dans l'espace universitaire des pratiques et des coutumes contraires aux principes les plus élémentaires de la pédagogie... Habib Kazdaghli est en effet celui qui, pendant des mois entiers, a subi les sit-in devant son propre bureau de la part de jeunes pour qui la seule raison est celle du sacré. Il ne s'agit pas d'un personnage au comportement léger, qui s'autorise par moments une conduite contraire à sa fonction: cela se saurait ! En tout cas, telle n'est pas l'image qu'on a de sa personne parmi ses collègues. Par conséquent, il est clair que l'affaire en question ne juge pas une conduite, mais une politique. Et quand on sait que l'accusation émane d'une étudiante qui est elle-même voilée, ou plutôt «niqabée», alors on achève de s'en convaincre. Et, donc, de trouver tout à fait normal qu'à l'image de toutes les affaires politiques, une décision de report d'audience ait lieu : report au 25 octobre prochain ! Seulement, on notera que cette décision a été accompagnée d'un changement d'attitude du ministère public. Ce dernier demande à ce que soit pris en compte, non plus l'article 319 du code pénal comme au début de l'affaire, mais l'article 101. Ce qui correspond à une aggravation de la peine encourue... Or cette aggravation est loin d'être négligeable, puisqu'on passe d'un maximum d'un an d'emprisonnement à un maximum de cinq ans. Et cela, fait-on valoir, au motif que la violence dont aurait été victime l'étudiante aurait été exercée par un agent public dans l'exercice de ses fonctions. Ce passage du 319 au 101 a toutes les caractéristiques d'une surenchère dans le contexte d'un bras de fer. Face à une mobilisation du corps enseignant autour du doyen de la faculté de la Manouba, le ministère public, et derrière lui le gouvernement, opte pour une déstabilisation psychologique de l'accusé en agitant le spectre d'une peine lourde. Le message est évident ! En cela, le gouvernement ne déroge pas à sa conduite depuis le déclenchement de cette «guerre» qui consiste non seulement à ne pas désavouer la fronde islamiste contre le système universitaire, mais aussi à la soutenir dans la mesure du possible... et sans doute parfois au-delà. Ce qui, bien entendu, relève d'une stratégie politique. Cela, à la limite, aurait été de bonne guerre si, par ailleurs, toutes les dispositions étaient prises pour garantir les conditions de la défense... On s'étonnera cependant d'apprendre que, selon les déclarations de l'accusé, aucun avocat n'a été mandaté par le ministère de l'Enseignement supérieur pour le représenter, bien que cela soit prévu dans le règlement afin de protéger les doyens de facultés dans l'exercice de leurs fonctions. Au-delà de cette affaire particulière, et indépendamment de sa dimension indéniablement politique, assisterait-on en ce moment à une opération de fragilisation formidable du métier de doyen ? On peut le craindre !