Elle était très attendue cette soirée inaugurale du 48e Festival de Carthage. Un peu par curiosité pour certains. Non sans craintes pour beaucoup d'autres. C'était, d'abord, pour le doyen de nos festivals, la première grande reprise de l'après-révolution. Le théâtre romain rouvrait ses portes après une pause «obligée». Le pays avait peut-être encore la tête ailleurs. Nos publics avaient peut-être changé. On partait un peu dans l'inconnu. On programmait, au surplus, un concert entièrement tunisien. Où en étaient nos artistes? On ne savait au juste, non plus. C'était un vrai pari. Il fallait quand même être prêt. Pour mériter et du lieu et du moment. Disons-le sans complaisance aucune : ce fut bien le cas jeudi. Artistiquement, le concert «istiftah» concocté en hommage au centenaire de Ali Riahi, aura été, sauf de menus détails, un concert parfaitement réussi. La partie «chorale» de malouf (suite sika tounsi) fut pratiquement sans reproches. Excellente exécution d'orchestre (une pléiade de nos meilleurs instrumentistes était de la partie). Fine direction de Ziad Gharsa, dont on ne compte plus les vocations. Apport impressionnant de voix, surtout, une quarantaine parmi les plus en vue, ce qui a embelli, ô combien, le volume global du chant. On n'insistera jamais assez sur l'attrait du malouf quand il est interprété à son plus haut niveau. Quand il est restitué ainsi, le malouf parvient à capter toutes les écoutes, même celles supposées «ordinaires» du public large de la chanson. Preuve, encore une fois, qu'il n'est pas d'art «d'élite» et d'art de «masse», il n'est d'arts que bien faits ou mal «faits». Les milliers de spectateurs qui répondaient «au mot» et «à la mesure» à la wassla sika, jeudi soir sur les gradins de l'amphithéâtre de Carthage, en ont tout simplement «assené» la démonstration. C'était un régal. Retenons-en l'expérience... et la leçon. Egale satisfaction avec la partie «soliste», réservée aux chansons de Ali Riahi. Sinon plus. Car cette partie fut l'apanage du meilleur cru de notre nouvelle génération de chanteurs. Impossible de départager ces jeunes voix, aux timbres et aux registres variés, mais toutes impressionnantes, séduisantes de justesse, de sensibilité, de couleurs, voire de prouesses. Les chansons de Sidi Ali (beau choix de Ziad Gharsa) y auront en tout cas gagné, outre la fidélité requise, un beau supplément d'originalité et de créativité. On va quand même les citer ces voix de la relève : Atef El Ouereghmi (touchant dans la très difficile Ghzali harab), Wafa Boukil et Raouf Maher (en duo très appliqué dans Tikouit), Soufiane Ezzaïdi (très applaudi et bissé dans Zina ya bent el hinchir), le très subtil et prometteur Mohamed Dahleb (dans El hob oual fan), Mariam Kahlaoui et Ahmed Ifrit (dans ma Habittech), Sarra Nouioui (appréciée dans Bit Echchaâr) et, enfin, que tous les autres nous pardonnent cette «petite faiblesse», le remarquable duo Asma Ben Ahmed (quel talent !) et Marouène Ali dans la somptueuse Fi dhaw el qoumeira. La chanson tunisienne a de beaux lendemains devant elle. L'exemple donné Mais ce concert d'ouverture restera surtout dans les mémoires pour l'image et le message qu'il aura proposés. L'image d'un monde musicien uni autour d'un idéal artistique commun, autour d'une œuvre collective à laquelle chacun a apporté sa contribution authentique et dans la plus complète humilité. Ces quarante vedettes de la chanson, modestement «campées» dans les rangées de la chorale, applaudissant à leurs jeunes émules, et s'empressant, ensuite, de rendre hommage à leurs aînés, donnaient un magnifique exemple à nous tous, et tout particulièrement à nos politiciens qui s'empêtrent encore, sous nos yeux, dans les calculs partisans et les querelles de chapelle. «Jeudi, a lancé un des spectateurs, les 217 élus de la Constituante auraient dû tous être présents à Carthage pour être témoins de cette unité et de cet amour inconditionnel de la patrie». C'était le message de nos chanteurs et de nos musiciens jeudi. Il fallait simplement être là pour l'apprécier dans son expression sincère et son émouvante spontanéité.