Les «mensuels» de la Rachidia se suivent et, à notre satisfaction, se ressemblent de moins en moins. Certes, en ce vendredi du «Mouled Saint» (27-02), le programme proposé était, en toute logique, adapté à la circonstance (Malouf «Jadd» et Malouf Hazl : «Medhat» et «Bhour», mais à être juste, déjà depuis de nombreux mois, Ziad Gharsa oriente son ensemble, à chaque fois, vers des formes d'interprétation sinon nouvelles, du moins récupérées de la vieille tradition, ce qui est une sorte «d'innovation». En ce qui concerne la revitalisation du malouf, nous avons, maintes fois, exprimé notre avis. Il nous semble que tel que présentée, depuis des décennies, cette musique se joue de plus en plus, à «contre-époque». On ne vise pas seulement la rythmique lente, et «les moules répétitifs», on pense particulièrement au chant choral et à l'exécution à l'unisson. Ces procédés n'appartiennent pas à la Nouba classique qui état interprétée, d'abord, par de petits ensembles (et avec une addition de grands instrumentistes) et dont la partie chantée, à l'instar, de nos jours encore, de la «Sânaâ algéroise» et de la Alâ de Tetouan ou de Fès au Maroc, était répartie entre des voix solistes couvrant les trois registres (aigu, médium, et basse) et intervenant par «chevauchement» ou en alternance. L'effet, on l'imagine bien (si on ne l'a connu déjà), est d'impulser un tempo dynamique à des suites souvent longues, parfois monocordes, mais surtout de renforcer la présence de l'improvisation qui est une base du chant arabe en général. Ziad Gharsa : des trouvailles exceptionnelles La méthode à l'unisson remonte aux années 60, plus précisément aux grands enregistrements de la RTT qui avaient, nous disait-on, pour but de documenter de façon «durable et fixe» nos treize noubas andalouses. Les grands orchestres et les chorales encombrées (même rachidiens) datent de cette époque. Rien à dire sur la qualité et la fidélité de ces versions, mais celles-ci avec le temps ont apesanti le malouf, d'une sorte de grandioloquence qui eut sans doute ses adeptes il y a trente et quarante ans, mais qui a de plus en plus de mal à capter les publics jeunes aujourd'hui. Pour donner à chacun son dû, insistons, néanmoins, sur les efforts de «réadaptation» de Ziad Gharsa qui s'en tient certes toujours aux grands ensembles mais qui multiplie, ici et là, les concisions, les accélérations de rythmes, les participations de solistes chanteurs et qui, chose essentielle, apporte lui-même grâce à une voix remarquable de savoir et d'inspiration cette touche personnelle créative qui rappelle ô combien les beaux accents anciens. Vendredi, par exemple, Ziad Gharsa nous a gratifiés de deux à trois moments, à notre avis, uniques: - Un «istikhbar» (taqsim) au luth, en premier, introduisant la noubat erraml, où il réussit une synthèse rare entre les sonorités «wataria» charqui et tounsi. A partir d'un luth arabe (4 cordes) c'est une synthèse presque miraculeuse. Ziad l'a fait et devant une salle quasiment envoutée par tant d'agilité et de mélancolie fine. - Un mawel (mhaïer sika), ensuite, pour introduire le «bahr, soulami» «Ana el mdallal», exceptionnel à son tour, encore que dans ce mode précis du mhaïer sika, Ziad Gharsa nous a déjà réservé et nous réserve sans doute d'autres trouvailles du genre. - Une composition de son crû, enfin, dans le genre issaoui, très originale, brûlante (harraqua, disent les gens de la confrérie) qui plus, est, interprétée dans le tempo, les accents, percussion et entrain des Hadhras comme on les aime. De la belle ouvrage en fin de compte. Et une assistance très réactive, quasiment gagnée à la takhmira ambiante, et qui a, on le suppose, un peu moins adhéré au reste : surtout, croyons-nous, à cette image dilettante où se mêlaient, sans le moindre souci esthétique, l'orchestre et la chorale de la Rachidia et les chœuristes de la Hadhra : un cafouillis indigeste dont le scénographe de service pouvait bien nous dispenser.