Par Soufiane BEN FARHAT On efface et on recommence dans un registre de l'horreur meurtrière toujours aussi hideux. Les attentats de lundi en Irak ont fait 119 morts et plusieurs centaines de blessés. Le lundi noir a été la journée la plus meurtrière depuis le début de l'année. La vague d'attentats y a touché plusieurs villes. Des marchés, une usine textile et divers points de contrôle dans différentes régions du pays en ont fait les frais. Fait révélateur, les attaques à Bagdad se sont produites à la même heure. Les assaillants ont même fait usage de silencieux, visiblement pour amplifier l'effet de surprise. Pour les responsables irakiens, le message est on ne peut plus clair : "C'est un message qui nous est adressé pour dire qu'ils peuvent nous attaquer simultanément en différents endroits de la ville parce qu'ils ont des cellules actives partout", soutient un haut responsable sous le couvert de l'anonymat. Les insurgés se rappellent au bon souvenir des officiels. Ceux-ci clament haut et fort qu'ils ont éradiqué l'insurrection. Celle-ci communique douloureusement. Elle signifie que les autorités doivent compter avec elle, malgré les revers qu'elles lui auraient infligés. Le gouverneur de la province de Babel a donné l'explication de cette vague d'attentats. A l'entendre, ce serait une réaction aux efforts en cours des diverses factions chiites pour constituer un gouvernement de coalition après les élections du 7 mars. En fait, cela ne pouvait pas tomber à un pire moment. La présupposée démocratie irakienne naissante donne la mesure de son impuissance. Plus de deux mois après les élections, la formation du gouvernement en est toujours à la case départ. Les factions chiites s'étripent. Et en arrière-fond, traîne la question des autres confessions. Le tout, dans un pays où l'édifice institutionnel est désormais confessionnel, après avoir été ouvertement laïc du temps de l'ancien régime renversé par la soldatesque américaine. Edifice confessionnel, c'est-à-dire forcément sectaire, au sein même de la confession chiite proprement dite. Ce qui explique l'impossibilité d'aboutir à un accord de gouvernement jusqu'ici. Sur un autre registre, la précision et la simultanéité des attentats commis à travers tout le territoire irakien en dit long sur la prise en main sécuritaire du pays. Qu'il s'agisse de Bagdad ou de la ville pétrolière et portuaire de Basra, la sécurité fait défaut. Les insurgés et apprentis terroristes y rentrent et en ressortent comme dans un moulin. Ils frappent là où ils veulent, quand ils veulent. Cela n'est guère pour rassurer, autant les Irakiens que leurs voisins. En effet, les troupes américaines s'apprêtent à commencer dans quelques semaines leur retrait définitif d'Irak. Il est temps de rentrer au bercail. Tout sera consommé dans un délai d'une année tout au plus. Mais le pays risque de sombrer, assurément. Quoiqu'on dise, les attentats de lundi dernier ont donné le la, un signe avant-coureur d'un désastre escompté. Les Américains n'y peuvent guère. Ils s'apprêtent à un sauve-qui-peut non déguisé. Ils en ont assez bavé et dépensé comme ça. L'Irak aux Irakiens. Oui, certainement. Mais quels Irakiens? Ceux des insurgés, des laissés-pour-compte d'un inique partage du butin? Ceux qui sont utilisés comme chair à canon dans un conflit plus vaste où l'Irak n'est qu'une pièce d'un vaste puzzle diabolique? Il ne faut guère se leurrer. Aujourd'hui, en Irak, il y a péril en la demeure. Et ce péril déborde sur tout le Proche et le Moyen-Orient.