• Entre les rejets des uns et l'acharnement des autres, le gouvernement semble devoir reculer • La réparation figurait dans le programme électoral du CPR Après la démission de Mohamed Abbou, ministre chargé de la Réforme administrative, et le vote du CPR contre son propre camp pour la nomination du nouveau gouverneur de la Banque centrale, voici une nouvelle fissure au sein de la Troïka : Mustapha Ben Jaâfar a fait une déclaration surprise, hier à l'ANC devant un parterre de journalistes, dans laquelle il a tenu à se démarquer de ses partenaires au pouvoir. Une lézarde supplémentaire dans le mur chancelant de la Troïka. «Prendre de la poche de l'un pour mettre dans la poche de l'autre» Dans une posture qui s'est voulue diplomatique tout en précisant son refus, Ben Jaâfar a estimé que c'est le devoir de la communauté nationale de reconnaître aux victimes les injustices et souffrances qu'elles ont subies, en prenant soin d'ajouter que les réparations financières doivent faire partie d'un processus global de justice transitionnelle. Il y a des urgences qu'il faut traiter, reconnaît Ben Jaâfar, mais cela doit se faire dans le cadre des secteurs spécifiques comme les affaires sociales ou la santé, ou encore l'emploi. Ben Jaâfar ajoute que le pays passe par une période de transition délicate et que ses moyens sont limités, et les sources de financement réduites, dans un message clair de refus d'une telle opération dans l'immédiat. Dans une interpellation directe au gouvernement, Ben Jaâfar se dit pressé de recevoir un projet de loi organisant la justice de transition, en précisant que «la collectivité sera de toute façon appelée à contribuer mais nous savons comment ça fonctionne, ajoute-t-il, on prend de la poche de l'un pour le donner à quelqu'un d'autre». Il a ajouté dans une insistance inattendue qu'il est prioritaire de préserver les équilibres financiers, en ajoutant en guise de conclusion que toute intervention étrangère dans le processus de réparation serait un déshonneur pour la Tunisie, allusion aux déclarations de responsables faisant état de réparations payées par des pays amis. Noureddine Bhiri : «Ceux qui, aujourd'hui, se défaussent de ce devoir vis-à-vis des victimes renoncent aux fondamentaux de la révolution» Dans une déclaration à La Presse, le ministre de la Justice, M. Noureddine Bhiri, certifie que la révolution a été faite pour réhabiliter toutes les victimes, les martyrs de la révolution, les blessés et tous ceux qui se sont sacrifiés pour ce pays. Le ministre, dans une volonté de dissoudre les victimes islamistes dans un ensemble, les incorpore dans un même groupe avec les martyrs de la Tunisie en remontant aux martyrs de la révolution, de l'indépendance et aux «youssefistes». «La réhabilitation est morale et financière, dit-il, et l'Etat doit reconnaître ses erreurs», en ajoutant que «ceux qui aujourd'hui se défaussent de ce devoir vis-à-vis des victimes renoncent aux fondamentaux de la révolution». Quant à la mise en application de ce principe de réparation, les dialogues sont ouverts et nous chercherons des formules de concorde, conclut le ministre. Samia Abbou : «Des secteurs entiers de l'économie doivent être assainis et l'argent sera disponible» Dans le même ordre d'idées, la constituante CPR Samia Abbou déclare à La Presse que la proposition relative à l'amnistie générale et celle relative aux réparations des victimes figurait effectivement dans le programme électoral du CPR. Elle affirme que c'est une nécessité de reconnaître les souffrances et injustices infligées à ces gens car le peuple tunisien s'est tu sur l'injustice 23 années durant. Le principe doit être reconnu d'abord, insiste-t-elle. Ensuite, on voit ensemble comment le mettre en application. Dans une critique frontale au ministre démissionnaire des Finances, elle ajoute : «Je me demande comment un ministre de cette importance donne un tel chiffre parachuté, il faut savoir que la liste des amnistiés n'est pas définie, puis, l'instance qui doit étudier les dossiers au cas par cas n'a pas été créée, même le barème n'a pas été établi». La députée adoptant d'ailleurs la posture de son ex-ministre de mari, lui aussi démissionnaire, que des secteurs comme la douane ou des établissements comme l'Etap, l'Entreprise tunisienne d'activités pétrolières, «sont infestés de corrompus et que les dépassements s'y comptent par milliards», des secteurs entiers de l'économie doivent être assainis et l'argent sera disponible, déclare-t-elle. La députée a tenu à préciser en concluant que ceux qui ont déjà une fonction dans le gouvernement ou à l'Assemblée ne sont pas concernés par les indemnisations. A tout prendre, le gouvernement semble reculer. Un Conseil des ministres est prévu aujourd'hui. A l'ordre du jour, selon des sources concordantes, cette «affaire d'indemnisation» qui a suscité une levée de boucliers d'une bonne partie de la population tunisienne. Donc qui vivra verra. Il sera difficile vraisemblablement de passer outre l'allié Ben Jaâfar et de finaliser le projet de loi.