Par Khaled TEBOURBI On attendait «l'or» de Mellouli pour échapper un peu à la morosité ambiante. Nos collègues du sport étaient, en plus, sûrs du «coup». L'aubaine ! Il nous manquait d'aborder des thèmes plus joyeux, d'interrompre, ne serait-ce que pour une courte pause, nos plaintes et nos complaintes à propos des arts et des artistes, des libertés menacées, de l'islamisme qui gagne insidieusement le pays. «Marre de broyer du noir», en un mot. La victoire «quasi» annoncée de Mellouli rechargeait, en quelque sorte, nos accus. Un petit «bronze» à l'arrivée. Juste un petit «bronze». Bravo quand même à notre champion, il aura fait ce qu'il pouvait. Sauf pour «le monstre» Michael Phelps, on nage décidément moins vite, passés les vingt-cinq ans. Reste que nous avons fait un tour en ville, les gens n'en paraissaient pas tellement affectés. En y réfléchissant bien, ce n'était pas tant une question «d'or» ou de «bronze», ni cela n'avait, au fond, rapport avec le sport en général ou avec Mellouli en particulier. Le plus plausible est que ces «digressions»-là ne fonctionnent plus comme avant. Sous la dictature, c'étaient des «perches» tendues au bon peuple qui s'y accrochait n'ayant d'autre illusion à se faire. Plus maintenant. La révolution, avec ou sans le consentement du nouveau pouvoir, a restitué l'initiative citoyenne aux Tunisiens. Les Tunisiens s'impliquent, aujourd'hui, dans les affaires de la cité. Ils font des grèves, des «sit-in», ils manifestent pour leurs droits politiques, économiques, sociaux et après deux années, presque, de transition démocratique, ils ont de plus en plus à l'œil leurs gouvernants et leurs élus. Devant ce qui est vital, primordial, devant les enjeux réels de la vie, une victoire de notre équipe nationale ou le triomphe d'un de nos athlètes aux JO ne fait plus, visiblement, le poids. La mystification du «sport victorieux» s'érode à vue. A supposer même... On se risquerait même à une supposition : si Mellouli avait gagné «l'or» samedi à Londres, les esprits n'auraient probablement pas chaviré outre mesure. Il y aurait eu liesse sans doute, mais on s'en serait vite retourné aux problèmes autrement plus pesants, plus urgents qui occupent et préoccupent tout le monde. A la cherté des prix, aux ordures qui continuent d'empester villes et campagnes, aux tergiversations de la troika et de sa majorité, aux inquiétantes palabres de l'Assemblée constituante autour de la justice, des médias, de l'instance électorale, voire du statut de la femme et de la nature du futur Etat. On n'extrapole rien. C'est ce que l'on entend partout, dans les cafés, les foyers, quand on va au spectacle le soir, jusque pendant les veillées «relaxes» de Ramadan. Les Tunisiens mûrissent petit à petit. Les politiciens, qui pensent que les prochaines élections sont «d'ores et déjà jouées», se trompent peut-être dans leurs calculs. Si ce n'est davantage : si le «bronze» de Mellouli a été à ce point digéré, c'est bien signé que les électeurs leur réservent une tout autre issue. «Elémentaire, mon cher...» On nous reproche de prendre «beaucoup trop» la défense des chanteurs tunisiens. Vrai, et nous l'assumons. Ce n'est, cependant, ni chauvinisme ni opportunisme. Simplement, cette année, et plus particulièrement à l'occasion des festivals d'été, nous jugeons le moment venu de dénoncer une double injustice artistique. Celle qui consiste à croire et à faire croire que nos chanteurs ne valent pas, en termes de voix et de talent pur, leurs homologues du Machreq. Et cette autre (telle son corollaire) qui impute à nos seuls chanteurs la responsabilité d'un manque d'audience et de publics. Le premier argument est contredit par les faits et par la simple écoute. Dans les faits et depuis plus de deux décennies déjà, ce sont les voix tunisiennes qui dominent artistiquement la scène musicale arabe. La liste est bien longue : Oulaya, Dhikra, Bouchnaq, Sabeur Rebaï, Zied Gharsa, Amina Fakhet, Hassen Dahmani et une bonne dizaine encore. Soyons réalistes : que propose le Machreq en contrepartie? Kadhem Essaher, à la limite Amel Maher ? Ou les stars éphémères de Rotana ? Tendons au moins l'oreille. Il y a un monde entre ceux-ci et ceux-là. Le second argument ne distingue toujours pas entre «la cause» et «l'effet». Si nos chanteurs sont moins connus, moins courus, c'est, essentiellement parce que nos diffuseurs et nos médiateurs leur préfèrent les stars du Machreq, devenues, pour cette seule et unique raison, plus connues et plus courues. «Elémentaire, mon cher Watson...».