L'accumulation des ordures dans les quartiers et les rues des villes tunisiennes, dont la capitale Tunis, atteint un seuil critique. Jamais Tunis n'a été aussi sale, impropre, souillée, malodorante, crasseuse. Même les centres névralgiques, les cités huppées, les avenues et autoroutes de la capitale n'ont pas été épargnés par le virus de l'abandon, du laisser-aller et du désintéressement pour la chose publique qui a frappé le pays après la révolution. C'est en tout cas l'image que l'on a, actuellement, de notre environnement urbain, de notre cadre de vie, de notre quotidien, un paysage de désolation qui fait honte, qui fait peur et qui fait monter la colère. Quelles que soient les justifications des officiels qui s'évertuent à rappeler et à ressasser la thèse de la destruction des équipements communaux au cours des soulèvements qui ont marqué les premiers mois de la révolution, rien ne peut expliquer qu'un an et demi après, on n'arrive toujours pas à maîtriser la situation qui empire un peu plus chaque jour au lieu de s'améliorer, s'approchant à grands pas du chaos. Inexplicable et inadmissible, d'autant que les conséquences d'une telle catastrophe environnementale — c'en est une — sont connues, prévisibles et inacceptables pour un pays comme la Tunisie qui a éradiqué, depuis des décennies, des épidémies aussi honteuses et dégradantes que la peste et le choléra. Dans un tel contexte d'anarchie, il est difficile de démentir les rumeurs, même si le ministère de la Santé se veut rassurant et celui de l'Agriculture, confiant prétextant que la peste des petits ruminants est une affection bénigne qui n'a jamais totalement disparu en Tunisie. Difficile pour le commun des citoyens de garder son calme et sa sérénité, surtout après la visite, plus proche du show que de l'inspection, du chef du gouvernement à la cité Ezzahrouni, et qui n'a rien changé à la donne, malgré son appel, tout de même tardif, à la mobilisation pour une campagne nationale de propreté. Où sont passés les centaines, voire les milliers d'agents municipaux, dont un bon nombre sont des éboueurs, qu'on a vu, pendant les premiers mois de la révolution, revendiquer à cor et à cri leurs droits économiques et sociaux et qui, selon les sources officielles, les auraient obtenus? Que font les responsables municipaux et les représentants des autorités régionales et locales pour débloquer la situation ? Le mal résiderait-il dans les délégations spéciales, autoproclamées et la plupart incompétentes, qui ont vu le jour après le 14 janvier ; des sortes de commissions censées faire marcher les affaires courantes des communes et des citoyens mais dont on n'a entendu parler que dans des affaires de sit-in, de « dégagements » de maires indésirables et d'entrave au bon déroulement des services administratifs communaux. Pourquoi est-ce si difficile de rassembler les moyens logistiques dont dispose l'Etat pour lancer une campagne de propreté en bonne et due forme ? Si le problème est lié à un manque d'équipements, est-il si difficile de les remplacer, même progressivement par des engins ordinaires de chantiers, si nécessaire ? Ou, faut-il attendre que les monticules d'ordures deviennent des montagnes pour voir le gouvernement prendre des décisions draconiennes ou l'armée porter le chapeau ? C'est à se demander s'il y a une réelle volonté, chez les responsables, de débarrasser les Tunisiens de leurs ordures ? Sont-ils impassibles ou impuissants ? L'affaire des ordures est en train de prendre des proportions sérieuses qu'il serait dangereux de sous-estimer. Des Tunisiens la vivent comme une atteinte à l'ordre public et aux valeurs morales et civiques. D'autres la qualifient d'agression physique et morale, gratuite. Si bien que l'on commence à se poser les questions qui fâchent. Y auraient-ils des enjeux, cachés, électoraux ? La révolution peut-elle justifier la destruction des acquis et l'hypothèque des ambitions ?