Qui parmi les habitants de Tunis, pour ne citer que cette ville, n'a pas remarqué la dégradation de l'environnement urbain de la capitale, n'a pas eu un pincement au cœur en traversant les grandes artères du centre-ville, les rues des quartiers huppés, les entrées et les centres des banlieues balnéaires ? Chaussées et trottoirs crasseux, monticules d'ordures dans les coins de rues et recoins des villes, constructions anarchiques, étalages sauvages à n'en plus finir d'articles made in China et Taïwan devant les gares et stations de métro, au seuil des magasins et boutiques qui avaient pignon sur rue, au vu et au su des commerçants, des agents de contrôle et des forces de l'ordre. Pourquoi Tunis est-elle devenue si sale, si laide, si désordonnée ? Pourtant, Tunis aurait dû être aujourd'hui la ville la plus belle, la plus propre, la plus lumineuse, la plus fière. Car, même si Tunis n'a pas été le point de départ de l'étincelle de la révolution, elle a été le point de convergence du mouvement populaire qui, en ce 14 janvier 2011, en plein cœur de l'avenue Bourguiba, a donné le coup de grâce à l'ancien régime. Tunis mérite-t-elle un tel affront ? La question qui vient à tous les esprits : que font les services municipaux, les près de 300 associations environnementales qui existent en Tunisie et les deux partis politiques à tendance écologique pour remédier à la situation et stopper l'anarchie ? Municipalités paralysées, associations impuissantes Pour les municipalités, la réponse échappe aux responsables communaux et se trouve plutôt dans les longs sit-in observés pendant des mois par les agents municipaux, à l'échelle du pays, au lendemain du 14 janvier, qui ont totalement paralysé les services communaux. Aujourd'hui, après la satisfaction des revendications des agents, les municipalités semblent reprendre du service, mais celui-ci laisse encore à désirer en l'absence d'une administration communale forte, capable d'exercer son pouvoir de contrôle. Du côté des commissions provisoires installées à la tête des communes, on évoque le manque de moyens pour réparer ou remplacer les équipements détruits au cours des perturbations, imputé entre autres au refus par un bon nombre de citoyens de s'acquitter de leurs redevances municipales. Du côté des associations environnementales, les explications sont autres : il fallait parer au plus urgent et se mobiliser pour faire face aux actes de sabotage et de pillage des réserves naturelles et autres parcs urbains, la richesse naturelle par excellence du pays, prendre des initiatives pour dénoncer les abus constatés au niveau de l'exploitation du domaine public, stopper et incriminer les incendies de forêt, etc. Pour M. Boubaker Houmane, président du club Unesco Savoir et Développement durable, "la révolution tunisienne s'est exprimée entre autres par une réappropriation de l'espace : avenue Habib Bourguiba, La Kasbah, mais aussi les réserves naturelles et les forêts, d'où le citoyen tunisien a toujours été exclu ". C'est pourquoi, pour l'universitaire et militant des droits de l'environnement, l'un des objectifs de la révolution sera de réconcilier le Tunisien avec son espace. Comment ? " Instaurer les règles de la démocratie, y compris dans le domaine environnemental en satisfaisant trois conditions au moins‑: accès à l'information environnementale, participation à la prise de décision et au choix des projets et recours à la justice en cas de litiges ou d'abus". Association - parti politique, alliance difficile Dès les premières agressions perpétrées contre les réserves d'Ichkeul, Bouhedma et Chaâmbi, M. Houmane et d'autres présidents d'associations, connus parmi les militants qui ont toujours travaillé derrière les projecteurs, ont commencé par créer un réseau d'une dizaine d'associations, Randet, et contribué à créer huit nouvelles associations environnementales locales dans différents gouvernorats du Nord, du Centre et du Sud. Mais ce n'est pas le seul exemple d'alliance formée à cette période. La mobilisation des défenseurs de la nature a même investi le terrain politique avec l'initiative Eco-constitution, qui vise à inscrire dans la nouvelle Constitution tunisienne le principe du droit à l'environnement. Le coordinateur de ce projet, conçu par un groupe d'associations et d'experts environnementaux, M. Mounir Majdoub, explique que ce projet a été présenté aux partis politiques qui ont été conviés à en adopter le principe, à l'intégrer dans leurs programmes et à le défendre ensuite à l'Assemblée nationale constituante. Selon M. Majdoub, les partis qui ont répondu favorablement ne sont pas nombreux, mais font partie des plus actifs et des plus influents. S'agissant des deux partis politiques à tendance écologique existants, dont l'un d'eux, Tunisie Verte, a été légalisé le 17 janvier dernier, des tentatives de rapprochement avec des associations " vertes " ont bien eu lieu, mais les bénévoles associatifs préfèrent pour la plupart travailler librement, sans " attache " avec quelque parti que ce soit. M. Majdoub affirme que le group d'Eco-constitution a refusé de se se ranger derrière un clan politique et a choisi de travailler au nom de la citoyenneté libre pour l'intérêt national. Même orientation pour le Randet. M. Houmane soutient que l'environnement doit être travaillé avec la population et concerté à la base dans le cadre d'une approche participative qui exclut les décisions parachutées. Mme Radhia Louhichi, fraîchement arrivée dans le milieu associatif, vient de créer " Réseau enfant de la Terre", une association versée dans la communication environnementale au profit des écoliers, collégiens et lycéens. Mme Louhichi ne se fait pas non plus d'illusions en ce qui concerne un éventuel partenariat association environnementale-parti politique écologique. " Je refuse de travailler sous la bannière d'un parti, pour être libre de mes actions et surtout préserver la liberté de penser des enfants ", explique-t-elle, soulignant au passage que l'hypocrisie qui règne dans le milieu politique est à l'origine de la crise de confiance ressentie vis-à-vis du politique et des élections de la Constituante. Les militants des droits de l'environnement ont beaucoup de chemin à faire.