Après le 14 janvier 2011, des citoyens hammamlifois, frustrés de voir leur ville perdre son éclat d'antan, ont décidé de prendre en main le Festival de Boukornine et d'en faire une manifestation citoyenne, dans l'espoir de rendre à la reine de la banlieue sud, une certaine qualité de vie perdue. La deuxième édition du festival vient d'être clôturée. L'heure est aux bilans. Pour Leïla Toubel, directrice des deux sessions de la post- révolution, née à Hammam-Lif, le bilan est positif, malgré tout. Parole à celle qui veut remuer la montagne de Boukornine. Qu'est-il donc arrivé à cette fameuse ville de la banlieue sud pour qu'elle devienne dans cet état? Hammam-Lif a été oubliée et délaissée. Son patrimoine architectural est en péril. Ses châteaux et ses lieux de loisirs, tels que La Sirène, Dar El Bey et le Casino, sont délabrés et squattés... Ses sources d'eau, dont certaines n'ont jamais été exploitées, ont fini par être enterrées... Notre ville pue la misère et la saleté. Dans tout ça, le culturel n'avait plus de sens. Le festival de Boukornine, à l'instar de tous les festivals du pays, privilégiait le guichet et une certaine programmation dont le but était de remplir les caisses, avec le prétexte de répondre au goût du public. Quel était votre principal objectif en prenant en main le Festival de Boukornine ? Nous voulions faire comprendre aux autorités de tutelle et au public qu'une révolution a bel et bien eu lieu, proposer autre chose de réellement différent. Comment avez-vous procédé ? Nous avons présenté un dossier à la municipalité, avec une liste de noms qui font partie du nouveau comité. Cette dernière a été acceptée et validée. Quels sont les profils qui composent ce nouveau comité directeur? De simples citoyens d'Hammam-Lif, dont deux jeunes étudiants, un expert en finances, une enseignante, un acteur culturel du domaine du cinéma amateur, et moi-même, comédienne. Le secrétaire général est un cadre à la municipalité. Le reste de l'équipe est constitué de jeunes bénévoles s'occupant de l'organisation, notamment de l'accueil et de la sécurité. Comment qualifierez- vous la première session de ce festival revu et corrigé ? La session 2011 était très particulière. L'ouverture a eu lieu le 25 juillet, le jour de la fête de la République qui a coïncidé avec la veille des élections. Nous y avons organisé une marche sur la corniche, prônant la nécessité de s'inscrire et de voter. Le reste du programme rendait hommage aux martyrs de la révolution et proposait une pleïade d'artistes engagés. Cette édition « Zéro » nous a donné des ailes pour la suivante. C'est ainsi que nous avons décidé de nous lancer dans une nouvelle aventure purement artistique qui a sa philosophie et sa spécificité. Estimez-vous avoir réussi à atteindre vos objectifs ? Nous avons pris le risque de programmer des spectacles qui ne ramènent pas forcément la foule. Mais c'était « le choix » qu'il fallait assumer. Il fallait donner de la visibilité à des artistes qui n'en ont pas et que d'autres festivals ignorent carrément. 12 spectacles sur un mois de programmation. Quel est votre bilan de la session 2012? Le bilan est sans aucun doute positif. D'après les échos, nous avons réussi à combler un certain vide. Je suis sincèrement épatée par cet élan de solidarité de la part du public et de tous ceux qui ont suivi notre programmation. Ces derniers nous ont défendu contre toutes les accusations, et ont su répondre, à notre place, à ceux qui voulaient remettre en question nos intentions. Le soutien de tous ces gens nous a confortés dans l'idée que l'art et la qualité ont encore de l'importance dans notre société malgré tout ce qui se passe. Nous croyons savoir qu'on n'y est pas allé de main morte pour vous empêcher de mener à terme cette deuxième édition... Tout à fait. On a fabulé autour de l'équipe organisatrice, on a appelé au boycott du festival, on nous a volé des câbles et on a déchiré nos affiches au quotidien..., mais nos jeunes n'ont pas baissé les bras. Ils passaient des nuits blanches, pour pouvoir, très tôt le matin, repartir dans tous les sens, en recoller d'autres... L'investissement de ces jeunes et leur manière de défendre le festival représentent pour moi le meilleur des bilans et la meilleure des leçons humaines.