Nous nous attendions à un concert de Kamilia Joubrane. Mardi dernier, à notre arrivée au théâtre de plein air d'Hammam Lif, on nous annonce que le spectacle en question a été annulé. La chanteuse palestinienne s'est désistée prétextant la chaleur et l'humidité qui risqueraient d'endommager son matériel ( ?!). Quelque peu déçus, nous décidons quand même d'assister au spectacle de remplacement : les «Derviche tourneurs» venus d'Alep. En attendant, nous prenons le temps d'observer l'équipe du festival et cet espace désormais pris en mains par de simples citoyens, notamment des intellectuels et des jeunes bénévoles de la région. Ces derniers, sont facilement identifiables. Ils portent une sorte d'uniforme aux couleurs du drapeau tunisien, le rouge et le blanc. Leur dynamisme et leur manière de recevoir le public annonce l'état d'esprit de cette 33e édition du festival de Boukornine : C'est «culturel», «engagé » et convivial au même temps. La couleur a été déjà lancée lors de la première édition post-révolutionnaire. Sans pour autant couper le cordon avec le passé de ce festival super connu, les nouveaux organisateurs ont fait le choix de programmer des spectacles de qualité et d'offrir de la visibilité à des artistes qui ont autre chose à proposer que du pur divertissement. La session de l'année 2011 était courte mais déjà emplie de sens. L'actuelle édition dont le coup d'envoi a été donné le 12 juillet, malgré les difficultés matérielles et techniques qui perdurent et les mauvaises langues qui la jugent un peu trop «sélective» et exagérément «politisée», offre un programme «congruent», c'est-à-dire on ne peut plus en accord avec les convictions personnelles de l'équipe organisatrice. Et pourquoi pas ? D'autant plus que la majorité des manifestations estivales, ayant perdu leur identité cela fait belle lurette, ne font preuve d'aucune créativité, ce qui est franchement décevant dans un pays censé s'être libéré d'un certain fonctionnement et du règne de la médiocrité. Cela dit, lorsqu'on veut être différent, on a intérêt à éviter le déjà vu, et à se donner le temps de l'investigation pour offrir au public la possibilité de découvrir de nouveaux noms, surtout en matière de chanson dite «engagée», « alternative » ou «underground» dont le monde arabe pilule, fort heureusement. Le spectacle commence enfin, devant un public très peu nombreux, mais sympathisant avec ce groupe de musiciens et ce duo de chanteurs venus d'Alep, une des villes syriennes les plus touchées par ce semblant de guerre civile. Attentif, appréciant et réagissant à chaque «mawal» ou improvisation, le public doit se dire dans sa tête : «ils» n'ont pas tué la chanson ! Encouragée par les applaudissements, la troupe syrienne s'est donnée à fond. Elle a chanté plus qu'elle n'a dansé la célèbre danse soufie. Des Derviche tourneurs on n'en a vu qu'un seul et pendant un court moment. Durant tout le reste de la soirée on a eu droit aux plus belles Koudoud halabia, au répertoire de Saied Derwich et de Nadhm El Ghazali, à des mijana et ateba et à Zourouni kolli sana marra en guise de cadeau au public d'Hammam Lif. Les chanteurs d'Alep doivent se dire, eux aussi dans leur tête, «Nous reviendrons. Car, demain il fera jour !».