Par Abdelhamid GMATI L'Assemblée constituante s'est accordée des prolongations, faute d'avoir accompli sa tâche dans les délais convenus. La date du 23 octobre n'a certes pas provoqué de séisme mais elle a eu le mérite de rappeler les élus à leurs obligations. Du coup, on s'est remis à parler de la nouvelle Constitution et dès le 24 octobre, une séance plénière était consacrée à la discussion du préambule de cette Loi fondamentale. Et dès demain, une autre séance permettra de poursuivre les débats sur cette question. Le président de cette assemblée a même souligné que ce texte sera adopté d'ici le début de l'année prochaine, au plus tard. Il y a là de quoi réconforter une opinion désorientée et inquiète de son avenir. Certains ont même retrouvé les rêves suscités par la Révolution. On va donc quand même avoir une Constitution concrétisant ces rêves, «préservant le modèle tunisien de société», avec, entre autres, le refus de la «criminalisation de l'atteinte au sacré». Mais au-delà des déclarations d'intention, observons un peu les faits. Dès les premiers débats, l'élu nahdhaoui Sadok Chourou a estimé que «la nouvelle Constitution ne sera ni populaire ni révolutionnaire». Pour lui, c'est insuffisant de proclamer que l'Islam est la religion de l'Etat et que la charia ne sera pas inscrite dans cette Constitution. Un autre élu de la même mouvance, Kamel Ben Amara, appelle, lui, à mettre l'armée sous le contrôle de l'ANC. Et il explique sa pensée en affirmant que «celui qui contrôle l'armée peut l'utiliser un jour pour terroriser la société». Proposition à rapprocher avec ce que disait le chef de son mouvement aux salafistes, à savoir qu'un des obstacles à l'édification d'une république islamiste est que l'armée «n'est pas sûre». Un autre veut, lui, changer l'hymne national. De son côté, l'élue du CPR, membre de la Troïka au pouvoir, est catégorique : «Il est fort probable que ce préambule ne soit pas ratifié ; personnellement jamais je ne voterai pour ce projet», estimant que dans ce texte, «dans la forme, c'est un Etat civil, mais dans le fond, c'est un Etat religieux». Opinion partagée par plusieurs élus et observateurs qui trouvent que le projet qui privilégie «l'identité arabo-musulmane» et ne fait qu'une brève mention «des principes des droits de l'Homme». On ne parle pas de la liberté d'expression et d'association ; par contre l'Etat a une nouvelle mission, celle de «protecteur du sacré» (une façon indirecte d'introduire la criminalisation de l'atteinte au sacré sans définir la notion de sacré) et «la préservation de l'entité familiale» (une façon de s'immiscer dans les affaires familiales); bien d'autres points sont contestés car ne garantissant pas les droits et les libertés tant individuelles que collectives. Ce à quoi, l'élu nahdhaoui, l'inénarrable Sahbi Attig, a répondu en affirmant que «le préambule de la Constitution rassurera les Tunisiens sur leur religion, leurs libertés et la civilité de l'Etat». Pour lui, «ce préambule sera adopté car il est satisfaisant pour la quasi-totalité des membres de l'ANC». Quand on sait le nombre d'opposants à ce texte, on se demande où ce monsieur est allé chercher «la quasi-totalité». Quand on pense que cette Constitution doit être consensuelle, acceptée par tous, on n'est pas sorti de l'auberge. Le même flou concerne la date des élections. Autre sujet sur lequel la Troïka aura voulu tranquilliser les Tunisiens. L'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) sera de nouveau opérationnelle au mois de décembre prochain. On s'est même entendu pour reconduire l'ancien président à la tête de cette instance. Mais on bute sur sa composition, sur ses prérogatives, sur son autonomie administrative et financière... De longues et difficiles joutes en perspective. De la même manière, en ce qui concerne l'indépendance de la justice, dont on parle beaucoup mais qu'on ne voit pas venir. Au point que les magistrats se sont insurgés et fait des sit-in de protestations et de revendications. Les journalistes qui ont fait une grève générale attendent toujours que les promesses soient concrétisées. A ce propos : on nous dit que la grève a été suivie à 90%. Cela veut-il dire que 10% de journalistes ne veulent pas de la liberté de presse ? Dans le même ordre d'idée, nos confrères de Dar Assabah ont conclu une entente avec les autorités. Cela veut-il dire que leurs revendications professionnelles seront satisfaites ? Le gouvernement renoncera-t-il à la désignation de son P.-d.g. ? A suivre. Ces quelques données ne prêtent pas au rêve. Rappelons qu'à la première séance plénière de l'Assemblée du 24 octobre, consacrée à la discussion du préambule, 169 élus étaient absents. Rappelons aussi qu'un engagement avait été pris par plusieurs partis, membres aujourd'hui de l'ANC, stipulant que la Constitution serait rédigée en une année. L'engagement, à défaut d'être légal (la mini-Constitution ayant balayé tous les textes antérieurs), n'en reste pas moins moral. Ce qui veut dire qu'on a failli à la parole donnée. Mais n'insultons pas l'avenir, tout et possible. Mais il ne faut pas rêver. Ne serait-ce que pour ne pas connaître de nouvelles désillusions.