Il n'a ni blog, ni page Facebook, il n'a jamais fait de conférence de presse, accordé d'interview, participé à un débat, ou tenté d'expliquer une situation. Faisant sienne la devise anglaise « Never complain, never explain» (Ne jamais se plaindre, ne jamais expliquer), Abbès Mohsen a vécu en toute discrétion ses épreuves et ses moments difficiles. De ce qu'on peut lui reprocher, de ce qu'il a à en dire, seules les personnes autorisées ont eu les échos. Aussi, apprendre que cet homme discret, grand commis de l'Etat, issu d'une tradition de grands commis de l'Etat, sortait de son silence, et publiait un livre — aujourd'hui en librairie en France —, était un évènement qui, lui, ne pouvait passer sous silence. Sous le titre de Servir-Mémoires désabusés d'un commis de l'Etat, édité chez Tchou, et qui sera en librairie à Tunis dans une dizaine de jours, nous dit-on, Abbès Mohsen parle, enfin, de son parcours au ministère de l'Intérieur, à la mairie de Tunis, au gouvernorat, à la Présidence, et dans les chancelleries. Il parle de ses rencontres, de ses expériences, de ses espoirs et de ses déceptions. Avec l'humour décapant qu'on lui connaît et la sincérité qui est sa marque de fabrique, il dresse portraits et situations. Et si sa plume trempe quelquefois dans le vitriol, on ne pourrait honnêtement lui en tenir rigueur. Alors, pourquoi ce livre et, surtout, pourquoi maintenant ? Avec cette manière bien à lui de dédramatiser les situations, il confie : «Je me suis dit qu'il fallait que je raconte tout cela avant de commencer à tout oublier». Il restitue, donc, ce parcours de 40 ans au service de l'Etat, à partir du moment où, jeune étudiant à l'ENA, des amis lui présentèrent le secrétaire d'Etat à l'Agriculture de l'époque qui cherchait quelqu'un capable de bien rédiger. De là, il rejoignit le ministère de l'Intérieur pour entrer dans le corps des délégués régionaux, et après avoir poliment refusé deux fois, parce que ne s'estimant pas prêt, il a été nommé gouverneur, sur ordre de Bourguiba. Ayant travaillé avec Tahar Belkhodja qu'il qualifie dans son livre de «un des plus grands ministres qu'ait connus le ministère de l'Intérieur», et après le départ brutal de celui-ci, il rencontre alors un certain colonel Ben Ali . Il rencontrera également, dans d'autres circonstances, Cheikh Rached Ghanouchi. Gouverneur de Tunis deux fois, ce qui est une première dans l'histoire de la ville, directeur du protocole au palais présidentiel, ce qu'il assimile vite au rôle d'huissier, démissionnaire et révoqué à tour de rôle, il quittera la gestion de la Ville de Tunis dont il fut maire durant dix années, un certain 14 janvier...2010 à 14h 30. Quelques intermèdes diplomatiques lui permettent «de faire la guerre au Yémen», comme il dit, et «de se changer les idées au Brésil», après une sévère remise à l'ordre, avant de terminer sa carrière d'ambassadeur aux Pays-Bas. Et d'être rappelé «convoqué par le juge d'instruction comme témoin, d'abord, comme prévenu ensuite». Le reste, c'est lui qui vous le dira.