L'an passé a été une année exceptionnelle dans l'histoire du livre en Tunisie. Dans une effervescence éditoriale jamais vécue, on publiait à tours de bras, tout ce qu'on n'avait pas pu proposer au public auparavant, tout ce qu'on avait rêvé d'éditer, tout ce qui circulait sous le manteau, et puis, bien sûr, tout ce qu'inspirait le printemps tunisien. L'écriture a exulté une année durant auteurs, penseurs, journalistes, hommes politiques, sociologues, historiens, juristes, psychologues, photographes, caricaturistes... Tous ont publié, tous ont été lus. Et jamais les librairies ne furent si fréquentées, prouvant magnifiquement que le livre continue de tenir une place privilégiée. Aujourd'hui, on nous annonce que le salon du livre aura lieu au mois de novembre prochain, ce qui est d'ailleurs logique. Nous avons donc voulu savoir quel serait le programme éditorial de cette rentrée, et si le formidable élan qui avait porté le livre les mois passés se poursuivait. Nous avons donc rencontré plusieurs éditeurs, plus ou moins importants, qui nous ont parlé de leur programme. Deux parmi les plus grands éditeurs de la place sont cependant pratiquement absents cette rentrée : Alif, les Editions de la Méditerranée, qui, en prenant en charge l'édition en langue française du magazine et de l'hebdomadaire Le Maghreb, se lance dans une nouvelle aventure, et Simpact, qui ne présentera que deux livres cette année, l'un que signe le docteur Seddik Jeddi, l'autre celui dont il rêve depuis si longtemps, le fameux livre sur l'histoire de la musique en Tunisie : Musiques de Tunisie de Ali Louati. Et pour cet éditeur qui consacre beaucoup de son temps en ce moment à des problèmes syndicaux, cela suffit à son bonheur. Cérès, l'engagement d'un éditeur L'autre grand éditeur de la place, Cérès Editions, continue, quant à lui, sur sa lancée d'éditeur engagé et publie vaillamment, en dépit d'une rentrée qui s'annonce plus difficile. «Les achats des ministères se sont pratiquement évanouis. Celui de l'Education nationale n'achète pratiquement plus de livres pour les bibliothèques, celui de la Culture a beaucoup diminué ses commandes. L'Institut français qui nous soutenait, a moins de moyens. Bien sûr, les gens continuent de lire, certes moins que l'an dernier qui était une année hors normes, mais ils lisent quand même. Et nous, malgré le tarissement des sources de financement, nous continuons de publier, car nous pensons que nous devons continuer à jouer notre rôle. Et contribuer, dans les différentes collections Cérès, à donner la parole à ceux qui ont la même vision que nous de ce que doit devenir le pays. Nous sommes un éditeur engagé, qui défend une certaine vision de la société», déclare Karim Ben Smaïl, le patron de cette maison d'édition. C'est ainsi que chez Cérès, on relance cette rentrée un livre paru tardivement la saison dernière : Vierges? La nouvelle sexualité des Tunisiennes de Nedra Ben Smaïl. Un succès de librairie parce qu'il obéit aux vrais critères : parler aux Tunisiens de leur société. «Et parce que, plus que jamais, en ces temps où on nous serine des origines lointaines, barbues, désertiques exclusives, plus que jamais le Tunisien est intéressé par une réponse à une question diffuse qui hante notre société depuis longtemps : qui sommes-nous? Et cette réponse est que nous sommes un peuple qui a survécu aux plus grandes invasions au cours des deux derniers millénaires. Il y a une identité tunisienne réelle, effective. Au vu des derniers évènements, les Tunisiens se sont révélés un grand peuple, qui n'a jamais été aussi civilisé que pendant les lendemains de la révolution, quand il n'y avait pas de maîtres justement. Ce livre de Nedra Ben Smaïl répond lui aussi à certaines questions sur notre société», explique Karim Ben Smaïl. Les Editions Cérès continuent cette année, de pousser un de leurs auteurs vedettes qui, elles en sont convaincues, aura un rôle dans la Tunisie de demain : Yadh Ben Achour, avec lequel elles sont en train d'élaborer un nouveau projet. Autres projets de cette maison d'édition, dont on nous dit qu'ils paraîtront dans les quatre mois à venir: Sombre chronique du Manoubistan de Habib Mellakh, professeur à la faculté de La Manouba , ainsi qu'un livre en arabe et en français du philosophe Ridha Chanoufi: L'Etat et la religion : contre- vérités et solutions. Un livre important dans la mesure où, depuis le 14 janvier, la parole a été donnée aux écrivains, aux journalistes, aux historiens, aux sociologues, aux psychanalystes, mais c'est la première fois qu'un philosophe s'exprimera sur la société tunisienne. Un autre livre sur l'Islam dans les cartons des Editions Cérès, celui de Latifa Lakhdhar : L'Islam et l'inaccompli, essai sur la religion dans notre société, et ce qui reste à faire dans ce domaine. Inattendue, parce qu'il déclarait qu'il fallait laisser les historiens raconter l'Histoire, et non les hommes politiques, une autobiographie de Mongi Kooli est également à paraître bientôt: Au service de l'Etat. Ainsi que le livre annoncé, que signe une journaliste, Anissa Ben Hassine, sur un homme politique, Yassine Brahim, qu'elle a accompagné durant trois mois, quand il était ministre. Et parce que cette maison d'édition privilégie la continuité, on y rééditera des «longsellers» comme on appelle les livres toujours demandés : Tarikh Tounes de Mohamed Hédi Cherif, dans une version améliorée, le magnifique Histoire de Tunisie de Habib Boularès, et l'immortel Sofra, toujours d'actualité.