Par Abdelhamid GMATI L'Assemblée constituante compterait un nouveau bloc parlementaire appelé «Al Nida». C'est le parti Nida Tounès qui déposerait, incessamment, une requête en ce sens. Selon le règlement en vigueur, il y a droit puisqu'il compte 10 députés, venus à lui grâce au « mercato » qui fonctionne depuis quelques mois parmi les élus. Ces dix députés, élus sur les listes d'autres partis (Ettakatol, le CPR, Al Aridha, Al Jomhouri), ont fait défection et sont devenus membres du parti de M. Caïd Essebsi. Il s'agira là d'une première, ce parti, créé il y a 5 mois, et de ce fait, n'a pas participé aux élections d'octobre 2011, ferait son entrée à la Constituante. Les députés de la Troïka, au pouvoir, et du parti Wafa, ont déjà fait savoir qu'ils ne reconnaîtraient pas ce bloc et ne discuteraient pas avec lui. Pourquoi? Tout simplement parce qu'il serait celui de Nida Tounès, un parti qu'ils essaient de boycotter depuis quelque temps, depuis que les sondages indiquent la montée en puissance de ce parti. Al Aridha a de son côté annoncé qu'elle porterait plainte auprès du tribunal administratif contre ses députés démissionnaires. De la même manière, l'avocat Fethi Lâayouni aurait déposé plainte auprès du tribunal de première instance de Tunis pour la destitution des dix députés ayant rejoint Nida Tounès. On leur reprocherait d'avoir commis un abus de confiance envers leurs électeurs. De fait, des dizaines de députés (on parle de 80) ont démissionné de leurs partis pour agir en indépendants ou pour rejoindre d'autres formations. M. Abderraouf Ayadi, lui-même un moment pressenti au poste de secrétaire général du CPR, a démissionné et a créé son propre parti, Wafa. Qu'en est-il au juste de cette question ? Rien dans la législation n'interdit à un député de quitter son parti. Dans la loi constituante du 11 décembre 2011 relative à l'organisation provisoire des pouvoirs (mini-constitution), aucune disposition n'est prévue concernant la destitution du député. La seule hypothèse prévue dans ce cadre figure dans l'article 8 de la loi. Aux termes de cet article, aucun élu ne peut être poursuivi ou arrêté pour délit ou crime sans que son immunité ne soit levée par l'Assemblée. Peut-il continuer à siéger en indépendant ou sous d'autres bannières? Rien ne l'interdit. Les constituants ont été élus le 23 octobre 2011 sur des listes de partis ou de formations indépendantes. Les plaignants arguent que les électeurs auraient donc voté pour des partis et non pour des individus. C'est vite dit. Les partis en lice étaient plus ou moins connus par leurs dirigeants qui se présentaient comme ex-opposants à la dictature, comme défenseurs des droits de l'Homme, comme partisans de la démocratie et des libertés. Dans certains cas, des partis complètement inconnus, comme Al Aridha, ont obtenu des suffrages relativement importants. Cela s'explique surtout par le fait que les électeurs dans certaines régions connaissaient et faisaient confiance à certains candidats (Sidi Bouzid, Gafsa, Kébili, Kasserine, Gabès, etc). On ne peut donc exclure cette possibilité que certains députés ont été élus pour eux-mêmes. De plus, les partis se sont présentés chacun selon des principes, selon un programme auquel ont adhéré les électeurs. On peut alors s'interroger sur les raisons des démissions. Les dissidents sont unanimes: ils se sont sentis trahis par leurs partis qui auraient abandonné leurs principes fondamentaux pour s'aligner sur d'autres, en l'occurence ceux du mouvement islamiste au pouvoir et ce, par opportunisme. De plus, plusieurs expliquent qu'ils n'ont pris leurs décisions qu'après en avoir référé à leur entourage, à certains de leurs électeurs. Les uns et les autres ont des arguments à faire valoir. On peut, cependant, s'interroger sur les raisons qui poussent les partis de la Troïka à ne s'en prendre qu'aux dissidents ayant rejoint Nida Tounès, et pas aux autres qui ont rejoint d'autres formations ou qui en ont créé eux-mêmes. Et s'il est inédit, voire discutable qu'un parti se trouve représenté dans une Constituante sans être passé par les élections, on peut aussi dire que les députés sont là et qu'ils peuvent travailler sur leur raison d'être, à savoir élaborer une nouvelle Constitution. Laquelle ne peut être viable que si elle se fait par consensus. Perdre du temps dans des discussions byzantines, équivaut à danser la polka, cette danse d'origine tchèque, qui se fait à deux temps et dans laquelle on virevolte, en allant à droite, à gauche et à reculons. Et c'est ce que fait la Troïka.