La vie politique en effervescence dans le pays connaît depuis quelque temps, des changements qui peuvent apporter de grands bouleversements dans le nombre des forces en place, leur poids respectifs et les équilibres futurs. Les leçons des résultats des élections du 23 octobre semblent avoir édifié tout le monde sur ce qu'ils doivent faire dorénavant, après que la multitude de partis n'ait servi qu'à les disloquer et où les voix des électeurs étaient éparpillées faute d'une véritable identification pour l'électeur. A présent l'idée directrice est aux regroupements. Toutefois, parallèlement aux rassemblements, des dissensions apparaissent.
Le premier pôle est celui formé autour d'Ennahdha au sein de la Troïka au pouvoir. Le problème est que les divergences internes, surtout entre Moncef Marzouki, président provisoire et Hamadi Jébali, chef du Gouvernement provisoire sont telles qu'une fragilisation de cette alliance tripartite (Ennahdha, le Congrès pour la République et Ettakatol), n'est pas à exclure. Nombreux militants au sein des deux partenaires d'Ennahdha ne cachent pas leur ras-le-bol du rôle très secondaire joué par leurs partis au sein de la Troïka. Pas plus tard qu'hier quatre membres de la Constituante et autres militants d'Ettakatol ont annoncé leur démission du parti. Il s'agit de Slim Abdesslem, Fatma Gharbi, Selma Mabrouk et Ali Ben Chérifa. Le groupe d'Ettakatol au sein de la Constituante risque de partir en fumée. Les mécontents s'élèvent contre la direction de leur parti qui tient coûte que coûte à l'alliance avec Ennahdha au sein de la Troïka et son alignement total sur les positions d'Ennahdha. C'est une position exprimée par le Conseil national d'Ettakatol tenu le week-end dernier à Sousse. Pour Mustapha Ben Jaâfar, secrétaire général d'Ettakatol et président de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), « sans la Troïka le pays entrerait dans le mur ». Les dernières démissions d'Ettakatol, ne sont pas les premières. Elles ont été précédées par plusieurs vagues de défections. Le grief commun relevé à travers toutes ces démissions est, ce que nombreux observateurs qualifient d'ailleurs, comme inféodation d'Ettakatol à Ennahdha.
La situation du Congrès pour la République (CPR), les dissensions étaient tellement importantes qu'un grand nombre de ses militants se proclamant fidèles aux valeurs originelles du parti ont été amenés à créer leur propre mouvement appelé Wafa autour de Raouf Ayadi, une des figures historiques du parti. Joignant l'acte à la décision le groupe n'a pas hésité à se démarquer de Moncef Marzouki, président d'honneur du CPR. Par contre Mohamed Abbou, secrétaire général du CPR marquant sa solidarité à toute épreuve, apporte son soutien indéfectible à Moncef Marzouki. Il en fait son candidat aux prochaines élections présidentielles. La fragilisation des deux partenaires incommode automatiquement Ennahdha, ce qui pourrait l'inciter à chercher d'autres partenaires avant les prochaines élections ? L'exercice du pouvoir use et éreinte et peut inciter à chercher d'autres alliances. Un autre pôle qui a le vent en poupe commence à prendre de plus en plus d'importance. Il s'agit de Nida Tounès. La dimension et l'ascension rapide de ce parti en a fait le deuxième parti après Ennahdha selon les différents sondages publiés. C'est un parti qui tire profit des faux pas et erreurs commis par la Troïka au pouvoir. Le charisme de son fondateur Béji Caïd Essebsi qui avait réussi à traverser sans grands dommages la première étape de la transition, explique en partie l'attraction qu'exerce ce parti sur des franges entières de la population. La première intention qui a précédé la création de ce parti est d'être le réceptacle des 1500.000 électeurs dont les voix ont été perdues lors des dernières élections. Plusieurs figures indépendantes ou de l'ancienne gauche démocrate ont rejoint ce parti. Il est en train d'installer ses structures à l'intérieur du pays. Les déclarations incendiaires de certains dirigeants d'Ennahdha contre ce parti et la tentation d'exclure son fondateur Béji Caïd Essebsi par un projet de loi présenté par le groupe du CPR au sein de l'ANC, dénote une certaine irritation qui peut se tourner contre ses auteurs. D'ailleurs, les tentatives d'isoler Nida Tounès de ses alliés le Parti Républicain et Al Massar ont échoué.
Le Parti Républicain (PR) et Al Massar ont pour ambition de rassembler les forces modernistes et progressistes. Sans aller jusqu'à fusionner entre eux, ces deux partis et Nida Tounès sont en pourparlers très avancés pour une alliance électorale pour les prochaines élections. Le parti Socialiste dirigé par Mohamed Kilani et le Parti du Travail Patriotique et Démocratique sont favorables à une alliance avec le Parti Républicain et Al Massar. Un troisième pôle vient de voir le jour dimanche dernier et de montrer une grande capacité de mobilisation : le Front populaire. Ce front se constitue de 11 partis et plusieurs personnalités indépendantes. Il met dos à dos Ennahdha et Nida Tounès. Hamma Hammami, secrétaire général du Parti des Ouvriers (l'ancien PCOT) se trouve propulsé par ses paires pour être le porte-parole du front et porté comme candidat aux prochaines élections présidentielles. Ce militant de la première heure de la Gauche radicale gravit allègrement les marches dans les sondages. Il a la confiance des différentes composantes du Front. Certains partis nasséristes n'ont encore pas fait leur choix. Finiront-ils par intégrer ce Front Populaire ? Des questions restent en suspens. Où vont se positionner les déçus du Parti Républicain, les réformateurs du PDP, regroupés autour de Mohamed Hamdi ? Certains démissionnaires d'Ettakatol avaient renfloué les rangs de Nida Tounès. Que vont faire les autres ?
Nous vivons une ère de regroupements. Ces démissionnaires, vont-ils créer un autre parti ou rejoindre un des partis existants ? Certains optent pour le statut d'indépendants. Vont-ils camper sur leurs positions alors que les dernières élections n'ont laissé aucune chance aux indépendants ?