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«Jamais, la composition du Tunisien n'admettra l'esprit sclérosé et rétrograde!»
L'entretien du lundi : Amel Moussa (Universitaire, poétesse)
Publié dans La Presse de Tunisie le 03 - 12 - 2012

lle a beau être universitaire et écrivaine (avec, en sus, un bref détour par le journalisme, dans les années 1990), seule, décidément, la poésie la hante, la subjugue, emplit sa vie et la cadence. C'est son paradis. Vous pouvez l'entretenir de quelque sujet que ce soit, elle a une réponse à tout. Mais dès que le sujet porte sur la poésie, elle revient à elle, à sa passion, à son véritable premier amour ; elle revit. Auteur de plusieurs recueils de poésie, c'est plutôt son ouvrage sur «Bourguiba et la question religieuse» qui a assis une fois pour toutes sa célébrité aussi bien en Tunisie qu'à l'étranger. Un petit tour d'horizon avec elle dans cette rencontre du lundi.
Que représente pour vous la poésie ?
Elle me redonne mon enfance dont m'éloigne chaque nouvelle année venant s'ajouter à mon âge. C'est le seul domaine où je me réalise comme je le veux et l'entends; mon identité profonde, je la détermine à travers la poésie. Les jours, les semaines, les mois où je n'écris pas des vers, c'est toute la lassitude du monde qui s'abat sur moi; c'est comme si j'avais perdu ma carte d'identité. C'est à travers la poésie que je suis le plus moi-même. Si dans la vie courante nous dissimulons beaucoup de nous-mêmes; si au travail nous sommes souvent enclins à porter des gants; si dans le domaine intellectuel nous sommes tenus d'être raisonnables, objectifs et neutres, la poésie en revanche m'accepte telle que je suis, avec ma folie, ma spontanéité, mon audace et ma timidité parfois. Tout cela fait de la poésie la priorité de ma vie, c'est elle mon bonheur, c'est elle qui m'a réconciliée avec moi-même. Quand nous étions enfants, nous pensions que l'enseignement était un ascenseur social vers l'humain, l'intelligence et le progrès ; mais en accédant au marché de l'emploi et à la société, nombre de nos rêves se sont évaporés. Réussir dans la vie active est devenu le seul souci, lutter contre toutes sortes de complexes est devenu l'objectif. Cela m'a amenée à me replier sur moi-même, à vivre un début de désespoir. Le monde du travail est un monde sans rêve. Pour ces raisons, la poésie s'est révélée à moi comme une planche de salut, elle m'a ramenée à la vie; c'est grâce à elle que je résiste à la vie.
Certains de vos recueils ont été traduits dans d'autres langues. Quel accueil leur a été réservé à l'étranger ?
En 2003, ont été traduits deux de mes recueils à l'italien par une grande maison ayant déjà traduit Adonis, Mahmoud Derwiche, Nizar Qabbani... J'étais donc la première femme arabe à être traduite parmi ces grands noms ; puis, j'ai été invitée par la chaîne Rai Uno pour en parler, malgré que les rapports entre le monde arabe et l'Occident étaient assez tendus suite aux événements du 11 septembre. J'estime avoir représenté comme il fallait la femme arabe et la civilisation arabe. Par ailleurs, d'autres poésies ont été traduites en anglais dans la revue Panibal (Londres) consacrée à la littérature arabe. En somme, je compte des traductions en français, en allemand (j'ai animé deux soirées poétiques à Munich et Berlin sur invitation de l'Institut Goethe) et tout récemment une traduction dans la langue turque. A l'heure actuelle, il y a un projet de traduction en espagnol. Je pense que nous autres créatrices arabes devrions profiter de cette ouverture culturelle de l'Autre ; il y a dans notre direction un regain d'intérêt et de curiosité, une volonté d'entrer dans notre monde, dans notre culture grâce à notre production littéraire. C'est peut-être une forme d'espionnage, mais c'est tant mieux, car cela nous permettra de véhiculer la voix arabe chez l'Autre avec tout ce qu'elle a d'originalité et de réalisations dans le domaine de l'art, du beau...
Pourtant, la poésie est devenue, un peu partout dans le monde d'ailleurs, le parent pauvre de la littérature...
Malheureusement, la poésie n'a plus, de façon générale, le même accueil qu'autrefois, et ce, pour diverses raisons. Il y a effectivement un attrait particulier vers la prose, car le monde actuel a beaucoup perdu de sa poétique devenue actuellement une prose narrative, ce qui traduit en quelque sorte la réalité de tous les jours. La narration reflète notre monde avec tout son réalisme, cependant que la poésie est devenue le propre du passé, elle relève des temps révolus et paraît étrangère à notre monde-ci englouti par le matérialisme. Or, la tonalité de la poésie est différente, le monde de la poésie est par excellence celui du rêve, et c'est ce qui fait qu'elle passe par une crise. A mon avis, qui écrit la poésie et sort recueil après recueil contribue à l'équilibre de ce monde après toute cette sécheresse que nous visons; mais l'individu, c'est ma conviction, finira par renouer avec la poésie car il est en passe de perdre contenance face à la vie, au matérialisme, à toute cette austérité. Arrivé au stade zéro où il ne peut plus résister, il ne peut que revenir vers la poésie pour y puiser de quoi se réconcilier avec son Moi, pour récupérer ce rapport avec soi-même qu'il a perdu en tant qu'humain. Certes, cette rupture a assez duré, mais la réconciliation est fatale, car la poésie est l'expression de la vie, et cela ne mourra jamais.
Qu'est-ce qu'une femme arabe cherche à dire à travers la poésie?
Elle cherche d'abord à consacrer sa destinée en tant qu'être humain, à jouer pleinement son rôle de créatrice. Le créateur exprime pour l'essentiel son Moi, ses rêves, ce qu'il a perdu, ce qui lui a été usurpé... J'estime, par ailleurs, qu'étant donné le cours que connaît le monde d'aujourd'hui, la femme arabe est en mesure de présenter des services précieux pour la culture et la civilisation arabes. Car toutes ces idées reçues qui circulent de nos jours chez l'Autre tournent autour de la femme. L'Autre a une vision négative du monde arabe, de la religion musulmane. Par conséquent, la femme qui écrit présente un témoignage, ce qui veut dire que cette civilisation n'opprime pas la femme. Que la femme écrive, c'est déjà une preuve qu'elle est active. La femme créatrice présente ce côté lumineux de sa culture et de sa civilisation, même si elle traite des côtés négatifs qu'elle endure. A l'instant même où elle évoque le côté noir de sa civilisation, elle révèle, dès lors, le côté positif, car une civilisation de bout en bout noire ne peut engendrer une entité qui écrive et fabrique la lumière.
D'après vous, quelle place occupe aujourd'hui l'arabe dans un monde tourné vers l'anglais et les hautes technologies ?
Je ne vous apprends rien de nouveau en vous disant que, malheureusement, l'arabe vit un état moribond ; d'ailleurs, même le français est en perte de terrain. Le monde actuel a laissé bien loin derrière la langue arabe, mais nous aussi avons contribué beaucoup à sa mort. Car le salut d'une langue passe par celui de ses propres locuteurs. Nous n'avons pas pris soin de notre langue. Lorsque la culture arabe a régressé, automatiquement la langue en a subi les contrecoups. La langue anglaise n'est pas prépondérante en elle-même, mais parce qu'elle découle de pays très forts. Le progrès scientifique est seul capable de conférer sa puissance et son essor à une langue donnée.
A mon sens, le seul moyen de sauver l'arabe et de le ressusciter est de faire en sorte que le monde arabe renaisse technologiquement et scientifiquement ; qu'il soit acteur et producteur, non pas seulement consommateur et spectateur. Mais rien n'est perdu pour autant. Nous avons certes accusé beaucoup de retard, mais il y a de nouvelles générations qui évoluent et s'intéressent beaucoup aux sciences. Il est donc possible que de ces générations se dégagent quelques éléments qui soient en mesure de rattraper le temps perdu sur les plans scientifique et technologique. Les créateurs sont aussi appelés à insuffler une seconde vie à la langue arabe en en faisant une langue nouvelle, dynamique, active, attrayante. Mais je ne peux ne pas remarquer que la régression de la lecture dans le monde arabe a aussi contribué à la mort de sa langue. L'absence de lecteurs pourrait signifier que cette langue n'est pas lisible, et tout cela cristallisera davantage la crise de la langue arabe. A mon avis, la réconciliation avec le livre, l'intensification de la création et d'une production linguistique plus dynamique pourraient aider la langue arabe à renaître de ses cendres.
Avez-vous peur d'être une femme intellectuelle dans une société où soudain le fanatisme religieux bat son plein ?
Je ne m'autorise pas à avoir peur. Même s'il arrive que j'aie peur, ce n'est pas de mon droit. Je suis la fille de Tahar Haddad, de Bourguiba, de mon père et de moi-même. Cela constitue pour moi une grande immunité. Ce qui se passe aujourd'hui comme nouvelles idéologies et infiltrations salafistes n'est rien de plus qu'une nuée passagère dans le ciel de la culture tunisienne, car le Tunisien ne peut admettre cet esprit qu'il n'a ni connu ni vécu. Le Tunisien va fatalement se dresser contre cet esprit ; s'il ne l'a pas fait jusqu'ici de manière radicale et décisive, c'est précisément parce qu'il sait que c'est une «ondée» passagère. La composition culturelle du Tunisien ne saura jamais tolérer cet esprit sclérosé et rétrograde. Jusqu'ici, les Tunisiens ont réussi à prouver que la modernité est pour eux une culture et une valeur, et qu'ils sont les enfants légitimes de Bourguiba. J'irai encore plus loin : je reste persuadée que certains salafistes eux-mêmes ne pourront continuer indéfiniment dans ce chemin qu'ils se sont choisi, car les gènes qui sont en eux penchent pour la modernité, l'équilibre, la souplesse. J'aurais tout simplement aimé que le mouvement Nahdha fasse preuve de davantage de courage dans la préservation de la modernité tunisienne. Cette hésitation dans les références de la Nahdha, cette oscillation entre le visible et l'infériorisé ont permis à cet esprit salafiste de s'emparer d'une part, même minime, de la vie sociale. L'échec de la Nahdha dans ce registre précis, conjugué avec les enchères de l'opposition, a fait qu'elle mette beaucoup de temps à affronter ce phénomène.
Vous avez consacré un ouvrage à «Bourguiba et la question religieuse». Diriez-vous qu'il a échoué sur la question de l'égalité en matière d'héritage ?
On ne saurait, à mon sens, reprocher quoi que ce soit à Bourguiba, sur ce chapitre comme sur tout autre. L'homme ne pouvait tout faire d'une seule traite. Nous lui devons d'avoir bâti un Etat moderne ; de s'être dressé et d'avoir réussi à obtenir, en ces années 1950, les droits de la femme; d'avoir entouré de sa sollicitude le dossier de l'enseignement, etc. N'oublions pas que Bourguiba, comme il l'a dit lui-même, en tenant les rênes du pays, il n'y avait trouvé que «des poussières d'individus». Comment faire de celles-ci des entités pensantes ? Tout ce qu'il a fait pour la santé, l'enseignement et les structures sociales traditionnelles est à mettre à son actif. La question de l'égalité dans l'héritage, Bourguiba l'avait posée évidemment. Mais le Cheikh Fadhel Ben Achour l'avait prié de ne pas précipiter les choses, de laisser le temps au temps. Il faut dire que le verset coranique sur lequel s'était appuyé le leader dans l'institution du CSP avait permis cette entreprise sans risque de heurter les esprits. Or, ce qui concerne l'héritage, le texte coranique est clair et direct. Avec toutes les réformes avant-gardistes et audacieuses introduites par Bourguiba, il aurait été excessif d'en rajouter encore. Je pense que si l'expérience du coopératisme avait réussi, Bourguiba aurait trouvé la force de régler la question de l'héritage. N'oublions pas que c'est avec la légitimité de l'indépendance qu'il a pu instituer le Code du statut personnel et abolir la polygamie. L'échec du coopératisme a mis Bourguiba dans une position de faiblesse qui l'a amené à composer prudemment avec le mouvement islamique, lui qui a toujours été contre l'islamisme. Je voudrais conclure en disant que si la femme était alors une carte politique, elle est aujourd'hui une force sociale qu'on ne pourrait plus occulter en aucune circonstance, ni exclure des grands dossiers de la nation.
Cela veut dire quoi ?... Que la question de l'héritage doit tôt ou tard être réglée ?
Le progrès que connaît notre monde, le partage des rôles au sein de la famille tunisienne vont automatiquement aboutir à la solution de l'égalité des chances en matière d'héritage. Car la réalité sociale a changé, et c'est elle qui, maintenant, va dicter les lois qui lui vont le mieux, qui l'expriment et la reflètent.
Vous êtes en contact avec les étudiants et les jeunes. Comment expliquez-vous leur retour vers un islam pur et dur?
A mon avis, ce retour en force des jeunes vers la religion a commencé il y a déjà quelques années. Ce retour s'est amorcé après les événements du 11 septembre 2001. D'abord, c'est une réaction contre l'Autre en ce qui concerne la Palestine et, surtout, l'Irak. Ensuite, c'est l'expression d'une protestation indirecte contre l'autorité politique, une forme d'opposition au régime politique et à l'islam de l'Etat qui était contre le hijeb et contrôlait les mosquées. Dans ce cadre-là, mais aussi face aux dossiers du chômage et des libertés, les jeunes, sachant que ce qui exaspère le plus les régimes politiques c'est la religion, ont donc amorcé ce retour en force.
Mais c'est aussi une quête de l'identité dans un monde où l'image qu'on colporte du musulman est celle du terroriste porteur d'un projet de jihed ; d'où, en face, les provocations de l'Autre touchant aux symboles des musulmans (comme les caricatures ou autres).
La religion représente pour les jeunes la quiétude, la sécurité, le paradis promis ; bref, elle est par excellence leur planche de salut. Comme vous voyez, ce retour est un phénomène complexe où se mêlent l'économique, l'identitaire et un élan protestataire au cœur de la mondialisation.


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