Par Amin BEN KHALED Dans un communiqué de presse publié jeudi dernier, le directeur du département Maghreb à la Banque mondiale, Simon Gray, a précisé ce qui suit : «La Banque mondiale a discuté avec les autorités tunisiennes de la possibilité d'un appui budgétaire additionnel pour 2013 mais nous sommes encore loin d'un accord pour un nouveau prêt. Cela dépendra de la performance du programme du gouvernement pour le renforcement de l'environnement des affaires et la promotion de la transparence et la bonne gouvernance». Il ne faut pas être un devin pour comprendre que les conditions de la Banque mondiale sont au nombre de trois et qui concernent la sécurité, l'économie parallèle et l'Etat de droit. Renforcer l'environnement des affaires, c'est-à-dire renforcer la sécurité L'environnement des affaires, c'est l'espace public. Il faut que cet espace soit sécurisé pour les investisseurs. Plus l'insécurité augmente et plus l'investissement national et surtout étranger décroît. La règle est simple. A cet égard, il est fondamental de rappeler la chose suivante: dans les affaires, la sécurité ne se trouve pas seulement dans l'espace économique dans lequel le capital se meut et évolue. Elle se trouve aussi dans «l'inconscient du capital», c'est-à-dire dans l'idée subjective que possède le capital du contexte global dans lequel il pense s'investir. La motivation de s'investir dans un espace donné a donc deux éléments: un élément objectif, c'est ce qu'on appelle communément par l'étude du marché (c'est l'espace quantifiable), et un élément subjectif, c'est-à-dire l'idée reçue que l'investisseur (surtout étranger) a de la société ou du pays dans lequel il pense s'investir (c'est l'espace qualifiable). La qualification d'un espace est toujours subjective. Elle est tissée de préjugés, d'images parcellaires, de vécus et de ce qu'en disent les médias. Or, il est clair que sur le plan subjectif, la Tunisie offre pour l'étranger un spectacle d'insécurité corroboré par des faits certes isolés pour la plupart mais qui laissent le capital fortement sceptique. Pour renforcer l'environnement des affaires, il faut donc renforcer la sécurité. Et en renforçant la sécurité, le scepticisme du capital se transforme en un réalisme raisonnable, ce qui va augmenter l'investissement et favorisera la création de richesses et d'emplois. La promotion de la transparence, c'est-à-dire lutter contre l'économie parallèle La transparence dans les affaires est une antinomie. Les affaires ont toujours leur côté obscur. Même dans un système sain et ouvert, il y a toujours cette «main invisible» qui tient le marché et qui l'ajuste lorsqu'il le faut. Mais dans le contexte tunisien, par transparence, la Banque mondiale semble mettre le doigt sur le mal économique tunisien, à savoir l'économie parallèle. Il est vrai que le secteur informel contribue à nourrir le ventre de millions de Tunisiens, mais là ce n'est que la face apparente de l'iceberg, car tel secteur, comme une maladie maligne, ronge doucement l'économie tunisienne de l'intérieur. A terme, la Tunisie aura trois types de problèmes structurels : les financements étrangers ne peuvent plus être injectés pour défaut d'une visibilité objective du mécanisme réel de l'économie nationale; les règles de la concurrence seront mis à défaut eu égard la présence d'une économie parallèle qui déstabilise les grands équilibres marco-économiques; le rôle de l'Etat en tant que régulateur du marché sera déréglé dans ce «clair-obscur» économique. Ainsi, plus le territoire de l'économie parallèle s'agrandit et plus les règles rationnelles de la science économique se retrouvent altérées. Inversement, plus il y a de transparence et plus ces règles deviennent efficaces et par conséquent, l'économie deviendra plus prédicable pour le capital et donc plus sûre. La promotion de la bonne gouvernance ou la promotion de l'Etat de droit L'Etat de droit n'est pas un simple artéfact juridique. Et la bonne gouvernance n'est pas un simple slogan mercantiliste. En réalité, force est de constater que de nos jours, les deux notions sont étroitement liées pour ne pas dire interchangeables. Car au final, la bonne gouvernance tient compte de trois impératifs: un Etat dans lequel le pouvoir agit selon la loi, cette loi doit être le fruit d'un débat institutionnel et/ou national contradictoire et ce débat doit respecter les impératifs moraux, notamment les engagements internationaux d'ordre pécuniaire et surtout d'ordre universel (entendons par là les libertés publiques et individuelles). Autrement dit, la Banque mondiale exige de l'Etat tunisien qu'il transite le plus tôt possible vers un état (et vers un Etat) de droit stable, régit par une constitution consensuelle et en harmonie avec les règles universelles en matière de gestion de la «chose publique». Plus de sécurité, moins d'économie parallèle et vers un Etat de droit, semblent être les trois conditions qu'exige la Banque mondiale de la Tunisie pour qu'elle puisse jouir d'un appui budgétaire «additionnel» pour 2013. Car l'appui est aussi additionnel que conditionnel. Ça fait penser à l'éternelle histoire du père de l'adolescent et de l'argent de poche ...