« Le peuple veut renverser le régime ! », « Ya Belaïd, Ya Hachad, Ennahdha a vendu le pays ! », « Vivre de pain et d'eau et Ennahdha non ! », « Ghannouchi, pars ! Va rejoindre le dictateur ! », «Avec mon âme, avec mon sang, je me sacrifierai pour toi, oh Martyr ! », « Oh Chahid (martyr), repose en paix, nous poursuivrons la résistance »... En cette journée de vendredi, au froid sibérien, la marée humaine, venue des quatre coins de la République, qui a investi bien avant midi le cimetière d'El Jellaz, à Tunis, autour du Carré des martyrs, n'a que des slogans scandés d'une seule voix, à l'unisson, pour à la fois se réchauffer et dépasser sa douleur. Ce n'était pas un enterrement comme les autres ! Les obsèques du militant Chokri Belaïd, qui se sont déroulées hier, rappelaient beaucoup plus une manifestation populaire, une de celles qu'a bien connues l'avenue Bourguiba pendant ces deux années post-révolutionnaires... D'abord, pour ses slogans hautement politiques scandés dans une ambiance chargée de l'odeur des gaz lacrymogènes tirés par la police pour disperser les casseurs de voitures surgis en bas de la colline d'El Jellaz. Des critiques au vitriol ont fusé de toutes parts, toutes dirigées contre le mouvement islamiste Ennahdha, qui dirige la Troïka au pouvoir, et particulièrement son premier dirigeant, Rached Ghannouchi. Les « Dégage ! » de la colère n'arrêtaient pas de pleuvoir, entrecoupés de l'hymne national tunisien dans une atmosphère de grande ferveur. Ensuite, pour la présence massive des femmes, de tous âges et de toutes catégories sociales, dans le cimetière. Une présence féminine d'habitude frappée de tabou et d'interdit en terre d'Islam. Mais devant le drame que le pays vient de vivre, la perte de l'un de ses leaders, un avocat, l'un des plus libres et des plus passionnés de justice et d'égalité sociales, assassiné mercredi dernier devant son domicile, il n'y a plus de tradition qui tienne. Ainsi semblait dire la foule en colère. Une foule toutefois porteuse d'espoir pour la dignité et la grande unité qu'elle a exprimées le long de ces obsèques, qui se sont poursuivies jusqu'à cinq heures de l'après-midi.