Il se positionne loin, très loin même, des contrées stéréotypées de la peinture de chevalet, déclarée pratique éculée. Ses peintures semblent incarner une tabula rasa des paradigmes picturaux d'antan : où la composition est verrouillée comme un coffre-fort, où la lumière est distribuée là où la nature place ses lustres. «Pour qui a vu le parcours du jeune peintre tunisien Khaled Abida, c'est là – et c'est tout à son honneur – le légitime couronnement d'une activité (diurne/nocturne) assidue, transformant sa propre praxis en un habitus, une pitance spirituelle, un «art de vivre». Khaled Abida a travaillé et continue à le faire sur de nombreux corpus, avec toutefois une prédilection toute particulière pour l'univers du dessin et la cosmogonie de la ligne. Ce qui demeure princeps dans son œuvre, c'est cette maîtrise avérée de la composition, fruit des déambulations itinérantes d'une seule et même ligne. Celle-ci, comme imprégnée de soufisme, décide tantôt d'entrer en transe (derviches tourneurs), tantôt de se laisser choir dans l'errance (état propice au «voyage en Lui» selon Ibn Arabi) ; avant de finir — souffle coupé — sa cavalcade échouée sur les décombres évanescents d'un effet de surfaçage ou dans les interstices d'un repentir. Une modalité d'être de la ligne, donc, qui se veut tantôt effleureuse du subjectile (démarche de la Gradiva de Jensen), tantôt scarificatrice (ersatz d'araire) de l'hymen du médium afin d'y introduire quantité de points gris : «ce point fatidique entre ce qui advient et ce qui meurt» amenant, selon Paul Klee, au visible le concept de «être-néant» ou «néant-être». Il en découle un essaim de fines masses contiguës doublement analogues (aspects scopique et topique) aux tesselles des mosaïques, desquels elles se distinguent par leur desse(i)n anti-figuratif/décoratif. C'est que l'artiste semble moins quêter la forme que la fonction. Sa palette — ô combien subtile et raffinée – est dominée par un camaïeu gris (grisaille), lui-même concocté avec des harmonies délicates, des nuances précieuses. Le tout est bien homogénéisé par le truchement d'un minimalisme chromatique dont seul le peintre détient le mystère, devant lequel «l'analyse embarrassée tombe en panne» (P. Klee). Partant, il se positionne loin, très loin même, des contrées stéréotypées de la peinture de chevalet, déclarée pratique éculée. Ses peintures semblent incarner une tabula rasa des paradigmes picturaux d'antan : où la composition est verrouillée comme un coffre-fort, où la lumière est distribuée là où la nature place ses lustres, etc. En conséquence de quoi, il paraît agir, pour ainsi dire, un peu à la manière d' «un peintre qui oublierait - chaque matin, dans son atelier - la vieille histoire du monde, pour saisir une fleur éternelle dans le tremblé de l'air» (C. Bobin). Aussi, je suis persuadé qu'il a su frayer une des voies lui permettant justement d'apporter des réparties tout autant plastiques que conceptuelles (le peintre étant de concert l'auteur d'essais théoriques) à des questionnements situés au cœur du grand débat contemporain sur l'art : comment peindre aujourd'hui, alors que le « faire créateur » est constamment mis en crise au travers d'œuvres artistiques de plus en plus acheiropoïètes ? En définitive, j'associerais sans ambages le labeur de Khaled Abida à celui d'un paysan, vu leur inclination commune au geste de «semer». Tous deux disséminent de bonne heure, à la main, et sous contrôle visuel, leurs graines sur une étendue bourbeuse hachurée de sillons. Sauf que les semences de cet artiste ne sont à nulle autre pareille : elles ont bourgeonné puis fleuri dans «l'éternel présent» (Cioran) d'une nuit de pluie. Le corollaire : pro-création de «formes érectiles» d'ascendance artistique et d'horizon cosmopolite. Alors, que dire de plus sinon que les vents lui soient toujours propices pour que ses germes prolifèrent encore et encore ... ».