Une sculpture, qui figure un ange, a été érigée pas loin et tous se sont recueillis sur place, bercés par la voix de Raoudha Ben Abdallah pour finir par rejoindre dans une marche silencieuse la place qui porte, désormais, le nom de Chokri-Belaïd. Ses yeux se sont éteints voilà près de deux semaines, et la main lâche, qui s'en est chargée, n'a pas encore rencontré son geôlier. Pourtant, Chokri Belaïd continue à vivre, plus que jamais, dans nos cœurs ; son image est gravée, pour toujours, dans la mémoire collective d'un peuple profondément traumatisé par l'acte barbare et lâche qui lui a ôté, un matin de février, la vie. Deux semaines se sont écoulées, mais le souvenir de son visage demeure vif et indélébile, hantant les jours et les nuits de ses assassins, un souvenir précieusement gardé par sa courageuse veuve qui assèche ses larmes pour ne pas accabler ses compatriotes, par le regard de sa petite fille Nayrouz qui réclame justice pour son papa et par tout un peuple qui, par centaines de milliers, a accompagné sa dépouille jusqu'au lieu de son dernier repos. Près de deux semaines après son assassinat, on continue partout en Tunisie et sous d'autres cieux, à lui rendre hommage. Les artistes tunisiens ont fait de même en organisant, dimanche dernier, un grand événement en plein air qu'ils ont intitulé : «Artistes contre le crime... L'oiseau de la liberté Chokri Belaïd continuera à chanter». L'initiative est venue de Selima Karoui, Amor Ghedamsi, Rim Hamrouni, Leïla Toubel, Nabil Saouabi et d'autres encore qui ont réuni musiciens, plasticiens, tagueurs, poètes et comédiens à El Menzah VI, le quartier où résidait le martyr. Nombreux ont pris part à l'événement, artistes, syndicalistes et simples citoyens tapissant le lieu du crime de roses rouges et de portraits du défunt, sérigraphies sur le drapeau tunisien. Une sculpture qui figure un ange, a été érigée pas loin et tous se sont recueillis sur place, bercés par la voix de Raoudha Ben Abdallah pour finir par rejoindre dans une marche silencieuse la place qui porte, désormais, le nom de Chokri-Belaïd. Les membres du groupe engagé «El bahth el mousiqi» ont donné le la, chantant des morceaux cultes et échangeant avec l'auditoire des slogans, tels que «Terre, liberté et dignité nationale». Les yeux creusés par le chagrin et la fatigue, la veuve du martyr ne tarde pas à les rejoindre pour réchauffer les cœurs par ses mots sincères de femme et de militante que même le deuil n'arrive pas à atteindre... Profanation aveugle «Chokri Belaïd était un mélomane, un amoureux de l'art et nombreux sont les artistes qui l'ont connu. Ils sont présents, ici, aujourd'hui, pour lui rendre hommage et pour dire que le combat ne fait que commencer», lance Rim Hamrouni avant d'inviter l'illustre poète Lazhar Dhaoui à rejoindre la scène. Il est venu, spécialement, de Gafsa pour réciter et chanter ses vers à Chokri Belaïd. Les membres du jeune groupe «Wajd», Mounir Troudi, le duo Lobna Nooman et Mehdi Chakroun, le slameur Hatem Karoui, Amel Hamrouni, Yasser Jeradi et son groupe «Dima Dima», tous ont dédié leurs voix, musiques et mots au défunt, dénonçant le crime odieux qui demeure encore impuni. Tout s'est passé pour le mieux, l'organisation était excellente et la place s'est petit à petit vidée, laissant, malheureusement, l'espace libre à une bande de lâches qui se sont acharnés, la nuit, sur la sculpture dédiée à la mémoire de Belaïd. Un pernicieux message adressé par cet acte auquel la comédienne Rim Hamrouni répond par ces mots : «Ils ont détruit la sculpture, mais son créateur est vivant, les voix de ceux qui ont chanté pour Chokri résonneront à jamais. Les mots des poètes retentiront à l'infini et notre flamme demeurera à jamais intacte. On va semer des fleurs à chaque fois, contre vents et marées et l'on entendra le chant de l'oiseau de liberté Chokri Belaïd qui ne s'éteindra jamais». Une belle manière pour répondre à ces vils et lâches profanateurs de la mémoire.