Par Abdelhamid GMATI Au-delà de la démission de Hamadi Jebali, chef du gouvernement, il importe de relever ses explications, ses motivations et ses conditions. En annonçant, lundi dernier, l'échec de son projet de constituer un gouvernement de technocrates, il avait déclaré que «l'initiative d'un gouvernement de compétences non partisanes a eu le mérite d'avoir évité à la Tunisie de glisser, le 6 février, dans le chaos». Avec sa démission, il a déploré n'avoir pas trouvé, y compris dans son propre mouvement, des patriotes mettant l'intérêt du pays au-dessus de leur parti ou de leur soif de pouvoir. Au cas où il serait appelé à reprendre du service, il a énuméré ses conditions : réunir en faveur du nouveau gouvernement les conditions de réussite, notamment en le mettant à l'abri des tiraillements partisans, fixer une date précise pour la tenue des prochaines élections et restaurer l'autorité de l'Etat, seul investi du pouvoir de faire respecter les libertés publiques, l'ordre et la sécurité, c'est-à-dire l'interdiction de tous les groupes parallèles qui entendent se substituer à lui. Même s'il ne le dit pas clairement, il reconnaît l'échec de son gouvernement dans ces différents domaines. Et on est en droit de se demander ce qu'on a fait de la révolution et de ses objectifs. Rappelons d'abord que la révolution a été menée contre Ben Ali, d'abord à cause du chômage, de la pauvreté et de la marginalisation, puis elle a été partagée par ceux qui en avaient marre du régime despotique qui les privait de leurs droits et libertés. De ce fait, elle a réuni tout le peuple tunisien avide de dignité, de progrès, de liberté. Qu'en est-il advenu ? Les populations dans les différentes régions continuent à protester contre le chômage, la pauvreté, l'absence de développement, la détérioration de leur situation. Quant aux libertés, elles ne sont pas garanties et se trouvent même menacées, y compris la liberté de presse ou de manifestation. N'a-t-on pas interdit les manifestations et ne les a-t-on pas conditionnées à une autorisation ? Exactement comme sous la dictature. Jusqu'ici, les médias ont joui d'une certaine liberté mais ils sont chaque jour menacés, attaqués, agressés et dénoncés comme fauteurs de troubles ou contre-révolutionnaires. Les manifestations et les réunions des partis d'opposition ou de démocrates sont soit empêchées soit perturbées par des casseurs et autres voleurs. Celles du mouvement Ennahdha se déroulent normalement sans aucune violence, les brigands restant «miraculeusement» chez eux. La violence politique a commencé avec les agressions de salafistes et relayée par des ligues de protection de la révolution contre tous ceux qui n'appartiennent pas à la Troïka au pouvoir. Le comble : les partis au pouvoir organisent des manifestations pour protester contre... l'opposition et pour prouver leur légitimité. Seuls les régimes dictatoriaux s'autolégitiment par des manifestations fabriquées. La légitimité dont se prévalent les constituants et le gouvernement provient des élections et n'est valable que pour un délai bien déterminé (un an) et pour la réalisation d'un seul objectif : la rédaction d'une nouvelle Constitution. Qu'en est-il ? Le délai est largement dépassé et la Loi fondamentale ressemble à l'Arlésienne, on en parle et on ne la voit pas venir. Le cheikh Abdelfattah Mourou, vice-président du mouvement islamiste, explique et affirme que «pendant un an, Ennahdha, en tant que parti au pouvoir, n'a cessé de tergiverser... Elle a démontré son incapacité à comprendre les attentes du peuple et elle a sciemment traîné les pieds sur la rédaction de la Constitution et elle s'est montrée laxiste en laissant faire les ligues de protection de la révolution». Une Constitution qui aurait dû être le fruit d'un consensus national, mais qui, dans l'avant-projet proposé, est une véritable menace pour les libertés et facilitera une dictature religieuse. Des constituants, dont certains font partie de la Troïka, consternés, ont déclaré leur refus de ce texte présenté. Quant à l'unité nationale, elle s'effrite et le pays se trouve menacé de division. Les discours de haine se succèdent et émanent principalement des islamistes, visant les démocrates et tous ceux qui ne partagent pas leurs opinions. On craint même pour l'Etat tunisien. Lors des manifestations publiques des islamistes, le drapeau tunisien est très peu visible, la priorité étant donné à leurs propres drapeaux et à celui de leurs alliés salafistes. On pourrait relever un tas d'autres exemples prouvant le peu de cas que l'on fait des objectifs de la révolution et cela provient essentiellement des partis au pouvoir. Le chef du gouvernement a été explicite à cet égard. On sait alors qui sont réellement les contre-révolutionnaires. Ils sont au pouvoir mais n'ont jamais participé à la révolution. Jusqu'à quand ?