•Pour plusieurs économistes, l'avenir des pays riverains de la Méditerranée dans les vingt prochaines années reste incertain : certains prédisent un possible déclin. D'autres experts pointent du doigt les divergences des rythmes de croissance et d'insertion dans la machine infernale de la mondialisation. Et il y a ceux pour ne pas dire plusieurs qui croient en un destin meublé de convergence et renforcé par un ancrage définitif des trois rives de la Méditerranée dans un écosystème d'interdépendance mutuelle. Retenons donc l'hypothèse que le scénario de la convergence puisse se réaliser et que les pays européens et ceux du Sud et de l'Est du bassin méditerranéen aient un avenir commun. Que doivent faire les gouvernements et les acteurs de la société civile pour renforcer et accélérer cette probabilité de convergence ? Le thème «Convergence économique en Méditerranée : partage de valeur ajoutée entre les trois rives» était parmi les thèmes phares des workshops des Entretiens de la Méditerranée, organisés conjointement par l'Institut arabe des chefs d'entreprise (Iace) et l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), les 25 et 26 mai 2010 à Hammamet. L'Atelier numéro 4, qui s'est déroulé le jour de la clôture de ces Entretiens, présidé par M. Zakaria Fahim (président de l'Atlas Business Angels-Maroc), a présenté une étude dont le thème n'est autre que «Convergence». Cette étude, qui est le fruit d'observations et de constats prélevés du terrain, a tenté de braquer les feux des projecteurs sur l'état des lieux du point de vue convergence en Méditerranée et les différents secteurs à forte valeur ajoutée qui pourront faciliter la convergence entre les trois rives du bassin. Selon M. Guillaume Mortelier, qui a présenté l'étude, malgré une intégration encore faible en Méditerranée, on a remarqué une nette évolution des IDE du Nord vers le Sud. Néanmoins, il est impératif que les pays de la Méditerranée s'engagent dans un plus fort transfert de valeur ajoutée entre ses rives, car ce dernier représente un vecteur capital pour une intégration économique régionale. Tout le monde se souvient du phénomène du vol d'oies sauvages en Asie, sous l'impulsion japonaise et le développement des industriels allemands dans les Peco. Ainsi, nul ne doute du fait que ces deux exemples ont des facteurs comparables en Méditerranée : un différentiel de développement entre deux sous-régions, une situation géographique, une complémentarité économique et surtout une pression économique sur les entreprises du Nord. Cette étude, dont la méthodologie s'est basée sur 200 entretiens avec des chefs d'entreprise du Nord et du Sud de la Méditerranée, des agences de promotion des investissements, des experts du secteur privé et une analyse documentaire, a révélé trois phases d'évolution dans les dynamiques d'interaction économique entre les deux rives de la Méditerranée. La première est celle de l'exploitation via des investissements dans des secteurs à faible valeur ajoutée (matières premières/énergie/tourisme/immobilier). La seconde se résume dans la production à travers la présence de systèmes productifs intégrés, notamment sur des activités techniques (secteurs textile/automobile/électronique/aéronautique/industrie légère). Enfin, la troisième n'est autre que la conception à travers une dynamique naissante de montée en gamme (Ntic/centres de compétences et de R&D dans l'industrie manufacturière). Cette dernière reste la plus conseillée et qui peut se réaliser par l'installation des industries manufacturières qui s'engagent dans des activités à forte valeur ajoutée et l'implantation d'entreprises de services hautement technologiques. Stabilité macroéconomique Toujours selon M. Guillaume Mortelier, la rive Sud présente plusieurs atouts pour favoriser cette phase comme disponibilité d'ingénieurs qualifiés, disponibilité des universités à développer des collaborations opérationnelles, mesures publiques incitatives, maîtrise des langues européennes, des fuseaux horaires proches, une culture d'entreprise et proximité culturelle (maîtrise du turnover par rapport à l'Asie) et surtout une étroite intégration entre le monde universitaire et entrepreneurial. Plusieurs entreprises ont réussi ce pari. On cite par exemple : Percall-Maroc, Ardia-Tunisie, ST Microelectronics-Tunisie, Satec (Tunisie, Maroc, Algérie), Nokia Siemens-Tunisie, Zelog-Egypte, SQS-Egypte, Orange Labs (Egypte et Jordanie). Ainsi, on passe d'une activité d'assemblage au développement des bureaux d'études, de conception, de design et de R&D tel le cas du Centre R&D Bayer et le Centre de design ST Microelectronics au Maroc, le Centre de conception Leoni Tunisie, le Centre de conception Valeo en Turquie et le Centre de formation régional Alcatel-Lucent Egypte. Assurément, la Méditerranée a un fort potentiel pour devenir dans les prochaines années une base d'implantation attractive et l'eldorado des entreprises industrielles et de services. Ainsi, une logique de montée en gamme est impérative (à faible échelle) sans oublier l'importance de garantir des facteurs de stabilité macroéconomique et donc, les Etats, ont un rôle majeur à jouer dans ce développement. En parallèle, plusieurs voix ont appelé à l'abolition du visa entre les pays des trois rives pour un espace Schengen méditerranéen afin de permettre une libre circulation des savoirs, des compétences et faciliter la convergence économique. Et pour ne pas conclure, comme disait Fernand Braudel : «L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare.» Ils nous ont déclaré : • Hakim El Karoui (président de «Young Mediterranean Leaders»-France) : «Aujourd'hui, il y a plus de divergences que de convergence économique en Méditerranée. Mais c'est pour ça qu'il est important de monter en gamme. Il ne faut pas que le Sud joue uniquement le rôle de sous-traitant pour les pays de l'Euromed. Il faut que les pays du Sud et de l'Est développent leur propre savoir-faire.» • Ikbal Sayah (représentant de l'Observatoire national humain) : «On a bien noté qu'il y a croissance au Sud et récession au Nord. On a bien noté aussi que les IDE sont en progression vers le Sud de la Méditerranée et que nos macroéconomies sont à l'équilibre. Et pourtant, il n'y a pas de développement humain. Je crains qu'un modèle de convergence pro-business ne puisse créer les dynamiques suffisantes pour générer les développements humains souhaitables pour générer une société dans laquelle les hommes et les femmes soient acteurs de leur histoire. Ainsi, il est question de renouveler les paramètres de notre réflexion commune, de notre expertise pour définir une vision prospective qui va remédier aux limites que peuvent rencontrer nos modèles socioéconomiques respectifs et nos structures de production qui constituent des freins à la création de richesses (secteur informel en expansion et secteur traditionnel en retard)». • Goutran Le Jeune (président du Centre des jeunes dirigeants-France) : «La convergence économique est un constat et un carrefour dans notre mode de développement. De ce fait, l'enjeu est de focaliser dans notre aptitude d'accueillir nos fragilités sur le plan économique, sur le plan social et sur le plan environnemental. Si je me mets un focus sur les forces de l'axe Nord-Sud de la Méditerranée, au Sud, on note un dynamisme de jeunesse et au Nord, il y a l'aspect technologique qui est bien développé. Ainsi la force ne peut naître qu'en se reliant les uns aux autres. La convergence économique permettra à l'espace méditerranéen de créer des richesses de plus en plus responsables et équitables sans spéculation. Seulement on se pose la question suivante : qui a envie de cette convergence?» • Khemais Béjaoui (chroniqueur et expert en économie-Tunisie) : «A mon avis, l'intégration n'est pas une vocation. La crise financière a montré que la globalisation doit incontournablement passer par la régionalisation sous peine de voir le monde se scinder en deux blocs (Asie du Sud-Est et la Chine d'un côté et les Etats-Unis de l'autre côté) qui représentent un péril imminent pour une Europe forcément minoritaire. Donc l'intégration n'est pas le résultat d'un point de convergence car elle a toujours existé comme l'atteste l'Histoire des peuples de la région durant la période coloniale. Ainsi l'intégration via la convergence économique s'impose pour faire naître de l'UPM un troisième pôle de la globalisation. Pour préciser, la régionalisation doit être faisable au niveau de la Méditerranée même si le bassin oriental n'est visiblement pas encore prêt à cette intégration à cause de la crise économique qui gangrène la Grèce et surtout l'impasse que connaît la question israélo-palestinienne et comme l'atteste l'absence de pays comme la Macédoine, la Croatie, la Turquie, la Jordanie dans les débats de ces entretiens. De ce fait, on est déjà parti dans une convergence 3+3 (entre l'Espagne, la France et l'Italie d'un côté et le Maroc, l'Algérie et la Tunisie) qui se concentre dans le bassin occidental de la Méditerranée». • Docteur Abderrahmane Belgat (Groupe Accor-Algérie) : «La convergence économique reste un objectif plein d'espérance. C'est une action qui peut se réaliser à long terme et qui engage des chantiers titanesques : quelque chose qui n'est pas facile. Tout d'abord, il y a des préalables tels que la confirmation de la dimension maghrébine (sur une échéance de 5 ans). Ainsi, l'économique viendra à un moment booster le politique, et ce, à travers des facteurs communs comme l'emploi des jeunes et leur formation professionnelle dans les secteurs d'activité porteurs (tourisme, etc.). Le deuxième gros chantier (sur une échéance de 10 ans) se résume dans la mise en œuvre de canaux de convergences entre les pays du Nord et du Sud à travers le triptyque : volonté-confiance-transparence. Ainsi il est impératif de s'investir dans la connaissance et la compréhension des structures mentales de chaque pays pour réussir cette convergence économique. Dans cet environnement très favorable, je suis persuadé qu'on offrira à nos futures générations un avenir meilleur et prospère». A.A.H.