"La Tunisie n'est pas obligée de se soumettre aux exigences du FMI. D'autres solutions sont possibles. La cohésion sociale est primordiale, le message politique doit aller dans le sens de l'unité et non celui de la division, tous les partis politiques doivent s'engager à préserver le modèle sociétal tunisien." L'ajustement structurel, encore appelé réforme structurelle, désigne une mesure de politique économique dont le but est d'améliorer de manière durable le fonctionnement d'un secteur de l'économie ou de l'économie entière d'un pays. Les programmes y afférents sont imposés par les organismes financiers internationaux, tels que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) aux pays du Sud. L'objectif étant de les intégrer dans l'économie du marché mondialisé. Toutefois, ces programmes peuvent avoir des effets sociaux considérables, résultant du démantèlement des structures économiques locales et de l'affaiblissement de l'Etat. Ces programmes d'ajustement structurel peuvent également déboucher sur une réduction des politiques sociales, sanitaires et éducatives. Cela nous concerne, puisque l'on ne cesse d'évoquer, ces derniers temps, l'éventuel recours du pays à un ajustement structurel en contrepartie d'un prêt de la part du FMI. Reste à savoir si une démarche pareille ne ferait-elle pas exploser la situation pour finalement mener un pays à l'économie en lambeaux tout droit au mur. Eclairage de l'économiste Mongi Smaïli. Le FMI exige de la Tunisie des réformes concernant la caisse de compensation en contrepartie d'un prêt de 1,78 milliard de dollars. Trouvez-vous que le temps soit opportun pour de pareilles mesures? Sans entrer dans la polémique des chiffres, la situation économique actuelle en Tunisie est alarmante. Malgré une reprise de la croissance économique en 2012 (3,5%), l'économie tunisienne accuse certaines fragilités au niveau de plusieurs indicateurs : un déficit budgétaire de 6,6% et un endettement public de 41,6%, respectivement, par rapport au PIB. Le taux de couverture des importations par les exportations a été de 63,8% en 2012 contre 75,6% en 2011, la croissance des importations a été 8 fois supérieure à celle des exportations. L'inflation a atteint en janvier 2013 un taux de 6% avec une hausse des prix des produits alimentaires et boissons de 8,6%. Le taux de chômage s'est situé à 16,7% au quatrième trimestre de 2012 et a avoisiné les 33% chez la frange des diplômés de l'enseignement supérieur. Les disparités entre sexes et régions restent importantes. S'ajoute à cela la dégradation de la note souveraine de la Tunisie par les agences de rating internationales telles que Standard and Poor's et Moody's. Tous ces indicateurs, combinés à une situation sécuritaire fragile, à la montée de la violence jusqu'à atteindre l'assassinat politique, à la difficulté de mettre en place un gouvernement qui rassure les Tunisiens et l'ensemble des opérateurs économiques, ont contribué à la détérioration du climat des affaires, ce qui risque de compromettre une reprise économique pour 2013. L'année 2014 s'annonce comme étant une année très difficile, et c'est la raison pour laquelle le gouvernement tunisien est en train de négocier avec le FMI pour obtenir un prêt de 1,78 milliard de dollars à titre de précaution pour le budget de 2014. De ce fait, il est très probable que le FMI exige du gouvernement tunisien de réduire son déficit budgétaire par la réduction de ses dépenses, et donc la réduction des subventions. En 2012, le montant total des subventions a atteint 4.226MD et le budget de 2013 prévoit 4.200MD. Dans le contexte actuel de la Tunisie, réduire la compensation comporte un risque d'explosion sociale. Ne risque-t-on pas d'alimenter davantage les tensions sociales en adoptant un nouveau plan d'ajustement? Comme je viens de le préciser, la situation économique et sociale actuelle de la Tunisie est très fragile. La mise en place de réformes structurelles nécessite un consensus social, chose absente en ces moments. Il faut rappeler que les réformes imposées par le FMI reposent sur deux volets, à court terme le rétablissement des équilibres macroéconomiques, c'est-à-dire une politique d'austérité et à moyen et long terme, la réhabilitation de l'économie de marché avec un désengagement de l'Etat au profit du secteur privé. Nous avons vécu une telle expérience en 1986 avec le plan d'ajustement structurel. Le résultat était une performance moyenne à l'échelle macroéconomique sans qu'un décollage économique comparé aux pays du Sud-Est asiatique ne se soit réalisé, et cerise sur le gâteau, beaucoup d'injustice sociale et régionale. La réussite de la mise en place de ces réformes a été facilitée par l'existence d'un régime autoritaire qui a réussi à mettre en place un régime policier qui a confisqué toute forme d'opposition. Le soulèvement populaire du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2013 a sonné le glas de ce modèle de développement. Si aujourd'hui, le gouvernement en place va suivre une politique d'austérité par la suppression ou la réduction des subventions sans trouver de solution adéquate pour préserver le pouvoir d'achat de la classe moyenne et, d'une manière digne, des catégories défavorisées, un soulèvement social serait inévitable et le risque de plonger le pays dans le chaos s'agrandit. Quelles seraient les solutions les plus adéquates, compte tenu du contexte socioéconomique actuel? Aujourd'hui, la solution est avant tout politique. Les partis au pouvoir doivent rassurer les Tunisiennes et les Tunisiens par des messages clairs, sérieux et crédibles. Il est aujourd'hui primordial d'arrêter la vague de violence, de rétablir la sécurité. Cela ne peut se faire que par la réactivation de l'initiative de dialogue national initiée par l'Ugtt le 16 avril 2012. Les impératifs de la prochaine étape nécessitent une intervention massive de l'Etat, contrairement aux directives du FMI. Pour répondre aux objectifs de la révolution, j'irai plus loin et dirai que l'Etat est appelé à investir dans les zones déshéritées où l'investisseur privé n'irait pas, il ne faut pas avoir peur que le déficit budgétaire se creuse lorsque les financements vont vers les activités productives. N'oublions pas que les pays occidentaux qui défendent l'économie de marché et sont contre tout interventionnisme de l'Etat dans l'activité économique, à leur tête les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, n'ont pas hésité à laisser tomber les principes du libéralisme et à nationaliser les banques et les entreprises qui ont failli faire faillite lors de la crise des Subprimes en 2008. A mon avis, la Tunisie n'est pas obligée de se soumettre aux exigences du FMI. D'autres solutions sont possibles. La cohésion sociale est primordiale, le message politique doit aller dans le sens de l'unité et non celui de la division, tous les partis politiques doivent s'engager à préserver le modèle sociétal tunisien. Il est impératif de mettre en place des mécanismes de bonne gouvernance, ce qui assurerait plus de transparence, de réviser le régime fiscal, surtout le régime forfaitaire, d'œuvrer à relancer l'investissement, créateur de richesses et de ressources pour l'Etat. Enfin, et je le signe en gras, le plus important est de rétablir la confiance entre le pouvoir et le peuple, c'est seulement dans ce cas que le peuple accepterait de faire des sacrifices pour sauver le pays.