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Fayçal Derbel, expert comptable et enseignant universitaire : «Une situation qui requiert une plus grande vigilance » Endettement extérieur de la Tunisie
La Tunisie ne fait pas partie des «emprunteurs indésirables»... Le taux d'inflation trop galopant et le rythme anémique de l'investissement précarisent la situation sociale «Notre dette est libellée en devises pour les deux tiers de son montant, alors qu'au Maroc, les dettes libellées en devises sont inférieures à 30%. Certains pays européens s'endettent à 100% en monnaie locale... Il faudrait tenir compte de la composition de la dette avant de se prononcer sur la soutenabilité ou non de cette dette» Comment évaluez-vous la situation économique et sociale actuelle ? La situation économique et sociale peut être jugée aussi bien à travers l'analyse et l'observation de la conjoncture actuelle qu'à travers certains indicateurs macroéconomiques arrêtés à la clôture de l'année passée. Actuellement, les indices les plus préoccupants se rapportent au taux d'inflation, à l'indice boursier et aux réserves en devises en jours d'importations. A fin février 2013, ces trois indicateurs se sont dégradés par rapport à la même date de l'année 2012, date à laquelle ces indicateurs étaient déjà altérés et ne permettaient pas d'impulser l'économie sur la voie d'une croissance soutenue. A cela vient s'ajouter la baisse des recettes touristiques du début de l'année au 20 février et la dépréciation du dinar par rapport au dollar américain et à l'euro par comparaison à la même période de l'année précédente. D'un autre côté, l'on relève une amélioration significative dans la réduction du taux de chômage qui demeure, du reste, très élevé par rapport à la moyenne régionale et mondiale ainsi que dans la maîtrise du déficit commercial qui s'est beaucoup contracté par rapport à l'année précédente grâce notamment à une évolution remarquable des exportations. Tous ces indicateurs publiés par la Banque centrale de Tunisie et l'Institut national de la statistique dénotent une situation économique toujours fragilisée et qui n'est pas tout à fait favorable à la relance de l'investissement et plus particulièrement l'investissement privé. Le taux d'inflation trop galopant et le rythme anémique de l'investissement précarisent la situation sociale, puisque le pouvoir d'achat se détériore et les opportunités d'embauche, notamment des jeunes diplômés, s'estompent. Pour juger l'état de l'économie sur la base des indicateurs macroéconomiques à la clôture de l'année 2012, force est de relever que la situation requiert plus de vigilance pour freiner les indices qui marquent une certaine décadence. Sont visés à ce niveau, notamment, les indicateurs traduisant des performances en deçà de celles des deux années passées. Parmi ces indicateurs, nous pouvons citer: le déficit budgétaire, le rapport dettes / PIB, l'investissement / PIB, l'indice Tunindex, le taux des créances douteuses et litigieuses, le taux de couverture et le taux de pression fiscale. Quelles sont, à votre avis, les mesures les plus appropriées pour sortir de l'impasse, sur le court, le moyen et le long terme? Je crois que pour sortir de cette situation de crise économique (pour éviter le terme « impasse »), il convient de prendre des mesures immédiates et de programmer des mesures à moyen terme, c'est-à-dire au titre des deux ou trois prochaines années. Dans l'immédiat, et en plus des conditions de base indispensables et incontournables de « dépollution » de la scène politique dans toutes ses dimensions (sécurité, confiance, justice transitionnelle...), il y a lieu, à mon avis, d'engager les actions suivantes : -Recapitaliser les banques publiques et assainir leur situation financière et leur portefeuille tout en les dotant des moyens suffisants et nécessaires pour une meilleure contribution à l'économie. Ces banques doivent avoir des obligations de résultats en matière de développement, de création de projets et de financement des investissements nouveaux ou additionnels. -Ranimer le secteur touristique pour qu'il puisse améliorer ses prestations et ses performances, notamment en matière de rentrées de devises. Il convient à ce niveau de résoudre les problèmes de l'endettement, générateurs de charges financières lourdes et handicapantes. La fiscalité de ce secteur mérite d'être revue dans l'immédiat pour le libérer d'une imposition excessive grevant le chiffre d'affaires et qui peut atteindre dans certains cas plus de 25% de ce chiffre (TVA, taxe hôtelière, Fodect, redevance compensation...) -Promouvoir la micro-finance, à travers l'encouragement des institutions de micro-crédit pour qu'elles se rapprochent davantage des jeunes promoteurs et des micro-entreprises, tout en étendant leur rôle, jusque-là limité au concours financier, à l'accompagnement et à l'assistance dans tous les domaines de la gestion : financière, commerciale, production... - Instituer des mesures fiscales urgentes pour booster le réinvestissement, encourager les activités de soutien et stimuler toute activité exportatrice ou assimilée. Pour maintenir les recettes fiscales à leur niveau projeté, il serait peut-être indiqué d'instituer une contribution conjoncturelle (limitée dans le temps) pour imposer certaines catégories de dividendes (Sicav et établissements de crédit) ainsi que les hauts revenus. A moyen terme, les actions de réforme doivent couvrir la caisse de compensation et le secteur informel. Au niveau de la caisse de compensation, il convient de mettre en place les mécanismes adéquats pour orienter les subventions vers les personnes qui devraient réellement en bénéficier. La carte intelligente pour la distribution du carburant peut constituer une solution pour l'allocation optimale de la subvention. Aussi, lorsque l'on sait que la part du lion de la subvention carburant revient au « gasoil», l'on se pose la question de savoir pourquoi ne pas taxer encore plus les voitures de tourisme fonctionnant à ce produit et aller jusqu'à dire pourquoi ne pas supprimer carrément cette subvention (voiture de tourisme uniquement et en dehors des véhicules professionnels). Le secteur informel répond au slogan qui dit « lorsque l'informel prime, l'économie déprime ». Il n'est nullement question d'éradiquer totalement ce secteur qui fait vivre des dizaines (voire des centaines) de milliers de personnes. Il convient de conduire les opérateurs de ce secteur vers un secteur formel, organisé et reconnu, basé sur des modes de gestion faciles, simples et accessibles à tous. Des solutions immédiates et radicales doivent être apportées aux activités de contrebande et de commerce transfrontalier illicite. Le pays est endetté à 48%, peut-il aller plus loin et à quel prix, surtout après la nouvelle chute de la note souveraine ? Cette question peut être abordée sous deux angles : 1-Peut-on aller plus loin ? Pour savoir si nous pouvons encore solliciter les bailleurs de fonds et organismes internationaux pour de nouvelles lignes de crédit, notamment après la dégradation des notes souveraines ? Autrement dit, ces bailleurs de fonds et organismes internationaux acceptent-ils de nous accorder de nouveaux crédits dans cette situation de crise et de difficultés économiques? 2-Peut-on aller plus loin ? Pour savoir si nous disposons encore d'une marge de manœuvre suffisante nous permettant d'avoir de nouvelles lignes de crédit ? Sous le premier angle, je crois qu'on ne fait pas partie des «emprunteurs indésirables» et que le pays n'est pas dans une situation de rejet de ses demandes de crédit. La solvabilité n'est pas compromise les demandes de financement auront encore des suites favorables. Toutefois, ces crédits seront accordés moyennant une prime de risque constitutive du taux d'intérêt qui serait très élevé au point que la charge financière risque de devenir réellement insupportable. Sous le second angle, je pense que le taux de 48% n'a pas beaucoup de sens dans l'absolu. Lorsque l'on sait que ce taux est de 58% au Maroc, l'on peut conclure que notre situation est meilleure. La réalité est tout autre et la conclusion est totalement inversée. En effet, pour une meilleure appréciation de ce taux d'endettement, il convient d'analyser la composition de la dette. Notre dette est libellée en devises pour les deux tiers de son montant, alors qu'au Maroc, les dettes libellées en devises sont inférieures à 30%. A partir de là, je voudrais appeler tous ceux qui prônent ce niveau d'endettement, en le comparant à ceux de certains pays européens, qui s'endettent à 100% en monnaie locale, à tenir compte de la composition de la dette avant de se prononcer sur la soutenabilité ou non de cette dette.