KABOUL (Reuters) — La «grande jirga» convoquée cette semaine par le Président afghan Hamid Karzaï pour jeter les bases d'un dialogue avec les talibans fait craindre aux femmes du pays la perspective de compromis qui remettraient en cause leurs droits durement acquis. La «jirga», ou assemblée, réunira dirigeants politiques, chefs de tribu et représentants de la société civile pour envisager un dialogue avec l'insurrection afin de mettre fin à la guerre qui ravage le pays depuis neuf ans. Mais un éventuel retour des talibans dans le jeu politique suscite l'inquiétude sur le sort des femmes qui furent écartées des écoles, du travail et de la vie publique sous le règne des «étudiants en religion» entre 1996 et 2001. «La jirga ne devrait rien apporter de bon pour les femmes. J'espère que seront reconnues leur présence et la protection de leurs droits à l'égal des hommes, comme le stipule la Constitution», déclare Orzala Ashraf Nemat, militante des droits de la femme à Kaboul. «Je suis vraiment fatiguée de cette stratégie, de ces plans et de ce jargon. J'aimerais voir les militantes des 34 provinces venir à Kaboul et définir un programme précis sur les choses à mettre en œuvre pour l'avenir des femmes», ajoute-t-elle. Les femmes ne représenteront qu'une petite partie des quelque 1.400 délégués attendus à la jirga, entre 30 et 50 d'entre elles devraient y participer, mais elles n'ont joué aucun rôle dans l'organisation de l'événement. «Il s'agit d'une représentation symbolique. Les organisateurs ne comptent aucune femme dans leur organigramme. Seules une ou deux ont été désignées comme négociatrices», note Ahmad Fahim Hakim, vice-président de la commission indépendante sur les droits de l'Homme. «Avec un peu de cynisme, on pourrait dire que leur sous-représentation vise à encourager la venue des talibans». Les femmes afghanes soulignent que leur position dans la société et la politique reste très fragile et que les quelques progrès conquis ces dernières années peuvent être facilement effacés. Depuis la chute des talibans, elles ont repris place dans la vie publique, envahi les salles de classe des écoles et un système de quota leur octroie un quart des sièges au Parlement. Mais dans les provinces rurales du Sud et de l'Est, où persistent des traditions séculaires, le fait d'aller à l'école ou de travailler est toujours très mal vu. Même à Kaboul, les filles sont harcelées par les hommes lorsqu'elles se rendent à l'école. Entre janvier 2006 et décembre 2008, le ministère de l'Education a recensé 1.153 attaques contre des écoles, dont 40% contre des écoles de filles. Le mariage forcé des jeunes filles reste fréquent dans les campagnes, et les violences et les viols sont un «énorme problème» selon les termes des Nations unies. Le taux de mortalité maternelle est le plus élevé au monde après la Sierra Leone: 1.600 femmes meurent en couches pour 100.000 naissances. En dehors des grands centres urbains comme Kaboul ou Herat, où travaille la seule femme procureur du pays, les femmes sont faiblement représentées dans les instances locales. La première femme maire du pays a pris ses fonctions l'an dernier dans la province reculée de Daikundi. Safian Farahmand-Amiry a 20 ans, elle est en première année d'étude de commerce. Née à Kaboul, elle a grandi sous les talibans. «J'ai des souvenirs amers des talibans. Je devrais être en troisième année d'université, mais ce n'est pas le cas. J'ai peur que ces lois reviennent si les talibans obtiennent un rôle au gouvernement», dit-elle.