La révolution tunisienne, commencée le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, ne s'est pas achevée avec la fuite du président déchu le 14 janvier 2011. Depuis cette date, le pays a connu d'autres «situations révolutionnaires» qui ont confronté groupes contestataires, militaires et acteurs de la politique (anciens et nouveaux), gouvernements provisoires, intellectuels, juristes...Le propre de ces situations est d'avoir conduit, à l'issue du mouvement dit de la Kasbah 2 (février-mars 2011), à imposer une solution politique, à mettre en place une Assemblée nationale constituante. Cette institution a favorisé l'émergence de trois formes de légitimité concurrentes dont se sont prévalus les acteurs : la légitimité électorale, la légitimité consensuelle ou historique et la légitimité du mouvement social. Ces axes constituent des pistes de réflexion sur les revendications sociales et politiques autour de l'emploi, des disparités régionales et de l'intégration sociale. Ces pistes ont fait l'objet d'une enquête sociologique menée depuis février 2011 dans différentes régions de Tunisie, par le chercheur à l'Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Irisso-Cnrs) et maître de conférences en sciences politiques à l'Université Paris-Dauphine, M.Chokri Hmed, qui a analysé et commenté le processus révolutionnaire, dit toujours en cours ainsi que l'équation révolution politique/ révolution sociale, cet état de fait paradoxal, ou plutôt cette «dialectique incessante» depuis le 17 décembre 2010. Le conférencier n'a pas manqué de rappeler dans son exposé que la révolution tunisienne est porteuse d'un paradoxe aussi puissant qu'inquiétant. En effet, les revendications exprimaient à la fois une demande sociale forte, une exigence de participation à la décision politique et une soif de justice contre un système corrompu. A travers une analyse sociologique du processus révolutionnaire en Tunisie, M.Chokri Hmed, dans son étude de cas, qui a esquissé les contours de son enquête sur terrain, présente une séquence exhaustive sur les différentes étapes de la révolution, du 7 décembre 2010 au 14 janvier 2011. Il montre comment s'est réalisée, par des usages contrastés de l'espace public, une jonction entre militants contestataires aguerris et jeunes non politisés mais marqués par un fort ressentiment à l'égard des autorités. L'enquête s'est déroulée tout au long de l'année 2011, dans la ville de Sidi Bouzid, à Menzel Bouzaïen, Regueb et Sidi Ali Ben Aoun. «Renseigner le processus de désectorisation au plus près de l'expérience vécue des individus et des groupes a en effet supposé d'adopter une focale d'observation locale, en explorant les ressorts et la portée régionale de la tentative de suicide de Mohamed Bouazizi, décrite comme le déclencheur de la révolution tunisienne et du printemps arabe», précise le conférencier. Un des profits non négligeables liés à l'enquête réside également dans le fait de pouvoir mettre au jour un certain nombre d'antagonismes et de concurrences quant à la définition même de la «révolution» et de l'évènement. Les entretiens menés dans l'enquête portaient à la fois sur le rôle des habitants des villes et des quartiers depuis le 17 décembre 2010, leur degré de politisation, leur socialisation politique et, le cas échéant, leur parcours militant, leur interprétation des évènements également et leur appréciation de la situation actuelle, locale et nationale.