On s'attendait à un simple vaudeville à la sauce française, intrigues, quiproquos, humour populaire et dénouement classique, mais Le dernier coup de ciseaux, que Yali Prod a choisie pour sa programmation de la 5e édition de Tunis fait sa comédie, a réservé une énorme surprise au public du Théâtre municipal. Le public était encore en train de prendre place et les lumières de la salle étaient encore allumées, quand la pièce a commencé. Dans son salon, un coiffeur farfelu et maniéré et son assistante, aguicheuse et provocante, annoncent la couleur tout en danse sur une musique disco. La scène s'étale en longueur, lorsqu'un client entre dans le salon et qu'on le réceptionne d'une manière énergique, le bousculant sur le fauteuil, toujours sur cette même musique. Les dialogues, à ce moment-là, sont primaires, superficiels. L'humeur est lourde et les clichés se succèdent. L'attitude des deux personnages du salon est excessive et l'on se demandait à quoi on assistait. Les évènements se succèdent, d'autres clients arrivent, la bourgeoise, le producteur. Petit à petit et à coup de répliques plus soignées et de clins d'œil touchant à l'actualité «tunisienne», on commence à prendre part au jeu. Les personnages se dessinent et la pièce commence à prendre forme. Une ambiance assez loufoque s'installe un moment, avant qu'elle ne soit interrompue par le son d'un piano qui arrive à nos oreilles... mettant sur ses nerfs le coiffeur farfelu. C'est la voisine du dessus, pianiste concertiste de renommée internationale et propriétaire de tout l'immeuble, qui joue. Soudain, le piano se tut et l'on découvre que la pianiste est retrouvée assassinée dans son appartement. On a à peine le temps de digérer l'information que deux flics surgissent. A ce moment, tout bascule. De spectateurs passifs, nous sommes appelés à devenir actifs. En effet, les deux policiers font appel au public — qui s'avère averti —et lui demandent de lui prêter main-forte dans l'enquête. De nombreux spectateurs étaient enthousiastes à l'idée de participer au dénouement de l'enquête. Les mains se lèvent dans la salle, les indices fusent de l'orchestre et du balcon. Entre la scène et l'enceinte, on se prend au jeu, les comédiens sont restés dans leurs personnages, réagissant, à chaque fois qu'un élément venait les accuser. Ils étaient tous étonnants, puisque la plupart du temps ils étaient dans l'improvisation, tout en restant fidèles à leurs rôles. Les indices, relayés par l'enquêteur, les événements évoluent sous nos yeux en fonction des témoignages et suggestions du public, jusqu'au dénouement où il nous a fallu voter à main levée pour désigner «notre» coupable parmi les quatre suspects. Durant les deux heures du spectacle, on avait l'impression d'être en plein dans un roman d'Agatha Christie, ou dans un épisode de Colombo, une sorte de Murder party où le public prend part au jeu. Et l'on comprend alors le succès phénoménal de cette pièce (sa première version américaine se joue depuis trente ans, sans interruption aux USA et elle figure au Guinness des records de longévité, avec plus de 9 millions de spectateurs à travers le monde), car même si on n'est pas amateur du genre, on ne peut pas s'empêcher de se prêter au jeu. Comme quoi il n'y a pas que le one man show qui amuse et assure le succès commercial. Le théâtre est riche et inventif, il suffit de trouver la bonne formule pour créer l'évènement et assurer le succès et la durée du spectacle.