L'Ecole doctorale et le département de droit privé de la Faculté de droit de Sfax organisent les 25 et 26 avril un colloque intitulé «Banques et crédits : contraintes et compromis». Au moment où les économistes, les experts et les praticiens du droit bancaire tirent la sonnette d'alarme sur le système bancaire tunisien, et au moment où l'on déplore une inflation monétaire et un déficit budgétaire des plus redoutables, le juriste est interpellé à plus d'un égard. Le rapport entre les banques et le crédit constitue un champ d'intérêt particulier des auteurs et praticiens du droit. A double alternative, ce rapport traduit les contraintes que connaît actuellement le crédit. Il invite à réfléchir sur le véritable chemin du salut, donc sur le compromis. S'agissant des contraintes, elles sont nombreuses et se ramènent à deux grandes catégories : des contraintes structurelles ou encore institutionnelles et des contraintes matérielles. Les premières sont liées aux établissements bancaires et trouvent leurs principales marques dans les difficultés affrontées par les établissements bancaires à partir du moment où ils cherchent à se faire rembourser leur crédit, d'une part, et dans les nouveaux choix et stratégies de la banque centrale dans la gestion du crédit, d'autre part. S'agissant des contraintes matérielles, elles procèdent particulièrement de la pratique en Tunisie, et depuis quelque temps, des produits de financement islamiques et de toute incertitude qui s'y attache. Cette incertitude est pour la doctrine du droit bancaire d'autant plus justifiée que ces produits soulèvent de sérieuses difficultés quant à leurs nature et régime juridiques. L'intérêt bancaire présente, en l'occurrence, une des questions les plus controversées. Face à ces contraintes, les autorités publiques ont cherché à trouver des solutions. Aussi parle-t-on aujourd'hui de restructuration et d'ajustement du système bancaire. Mme Salma Khaled, maître assistante à la faculté de droit de Tunis, a indiqué que le crédit est un moteur de la circulation des richesses. Qu'il s'agisse de l'insuffisance des fonds propres de l'entreprise ou de la recherche d'un moyen de financement d'un nouveau projet, de soutien à celle qui est en difficulté ou enfin de l'octroi d'un crédit immobilier ou à la consommation, les entrepreneurs et les particuliers ont forcément recours au crédit. C'est à leur banquier qu'ils demandent un support financier se concrétisant par l'octroi d'un crédit dans les conditions du marché et selon leur capacité de remboursement. Elle a ajouté qu'«à une époque où le crédit occupe une place très importante dans le financement de l'économie et où les banques constituent des institutions ayant peu de substituts assurant ce financement, une crise économique et financière surgit sur la scène nationale à la suite de la révolution du 14 janvier 2011 entraînant des répercussions financières touchant aussi bien les entreprises que les particuliers». La crise du système bancaire Toutefois, il convient de noter que comme dans toute activité commerciale, il existe un risque, celui de ne pas se faire rembourser le prêt accordé en raison de la situation financière du débiteur se trouvant dans un état de difficulté dû à une mauvaise gestion ou généré par une mauvaise conjoncture économique. C'est le cas de la crise actuelle que vit notre système bancaire suite à une crise sociale et politique. Par un effet de domino, la crise sociale a entraîné une crise économique, sociale, financière et morale. Mme Khaled a parlé amplement de la situation actuelle du pays. Elle a précisé que la Tunisie vit depuis la révolution une situation de malaise et d'inconfort qui s'est sensiblement répercutée sur les secteurs les plus sensibles de l'économie et des finances. Plusieurs entreprises sont en difficulté, d'autres ont disparu, des investisseurs étrangers ont quitté le pays, ce qui a créé des chômeurs et désertifié des régions. A ceci s'ajoutent la multiplication des revendications salariales, des grèves paralysant le fonctionnement normal de quelques entreprises aussi bien publiques que privées, réduisant considérablement leur production et amoindrissant leur rendement et par ricochet leurs revenus devenant ainsi des débiteurs insolvables vis-à-vis de leurs créanciers, essentiellement les établissements bancaires. A cette crise financière, un climat de doute et de réticence s'est installé. Un manque de confiance dans les rapports des banques avec leurs clients s'est en effet concrétisé à travers la décision de la Banque centrale de Tunisie de réduire l'octroi des crédits à la consommation aux particuliers, à laquelle s'ajoute une autre décision récente du 27 mars dernier pour augmenter le taux d'intérêt, ce qui est de nature à dissuader les particuliers à demander des crédits ou du moins à réfléchir avant de le faire. Certes, ces décisions sont aussi motivées par une volonté de la BCT d'exercer son pouvoir de régulateur et de contrôleur du marché monétaire et financier. En temps de crise, elle a un rôle très important pour lutter contre l'inflation qui risque d'atteindre les 49% du PIB en 2013 en préservant la stabilité des prix. Une politique visant une sortie de crise en menant une lutte sur les deux fronts, celui de l'endettement et celui de l'inflation, des remèdes doivent être alors recherchés. Des solutions radicales Pour ce qui est des compromis, Mme Khaled a souligné qu'ils consistent à rechercher des solutions radicales à la crise financière et économique que vit le secteur bancaire tunisien. Des modifications et des adaptations sont nécessaires afin de relever les défis et de rendre les banques tunisiennes plus compétitives jouant le rôle d'agent de développement national, voire international. Les remèdes sont axés principalement sur le renforcement des règles de bonne gouvernance, dans la gestion des entreprises et des établissements bancaires ainsi que la mise à niveau du système bancaire tunisien par le renforcement du marché financier et l'usage des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Pour sa part, Mme Najet Brahim, de la facculté de droit de Sfax, a évoqué la relation entre la notion du temps et le crédit. Elle a expliqué qu'«actuellement on vit une crise de crédit face à l'accélération du temps. Le temps de crédit est en premier lieu la durée du crédit, c'est-à-dire à court terme, moyen terme ou à long terme. En deuxième lieu, on parle de la date de crédit, c'est à quel moment les établissements bancaires ont le droit d'ouvrir des comptes ou d'empêcher l'ouverture de ces comptes». Elle a ajouté qu'après la crise de 2008, les pays parlent du caractère international du crédit. Tous pensent à restructurer le crédit. «La confusion entre le droit positif et le droit islamique semble aujourd'hui nécessaire. La finance islamique a fait ses preuves en 2008. Mais l'obstacle c'est que le droit positif est basé sur la notion de l'intérêt qui est une chose interdite dans le droit islamique», conclut Mme Brahim.