Au vu de la succession rapide des nouveautés en matière de technologies, notamment dans le domaine de l'internet et la diversification des méthodes de criminalité via Internet, le besoin de revoir les législations et les procédures déjà mises en place pour lutter contre la cybercriminalité est désormais plus qu'urgent. Ce sujet a été décortiqué par une équipe d'experts nationaux et internationaux lors d'un colloque initié par l'Ordre national des avocats de Tunisie. D'après le bâtonnier, Chawki Tabib, l'internet a bien été le moyen qui a permis au peuple tunisien de lutter contre le régime déchu. «Notre relation avec cet instrument doit rester dans ce cadre, outre les usages scientifiques et autres qui visent le développement. Elle ne doit pas être utilisée à des fins illégales ou de criminalité et de terrorisme. Nous sommes en train de pousser les choses vers la restructuration et l'encadrement légal de cet instrument mais tout en respectant le principe national de liberté, entre autres, d'expression», a-t-il indiqué. Le bâtonnier, tout en insistant sur la nécessité de revoir les textes de loi régissant ce secteur, qui est l'accès et l'usage d'Internet, a évoqué l'importance de réhabilitation technique, ainsi que la promotion des ressources humaines au sein des différents corps et institutions, notamment judiciaires et sécuritaires qui interviennent dans la lutte contre la cybercriminalité. Le manque de moyens et de spécialisation a été, de même, cité par le bâtonnier. Hacking et autres crimes Présentant un rapport sur le sujet en question, Farhat Toumi, avocat au barreau de Tunis, a relevé la délicatesse du traitement des données concernant les usages d'Internet à des fins criminelles. «La difficulté réside en l'anonymat des personnes dans cet espace virtuel et le devoir de respect de la liberté d'expression, alors que les hackers des informations privées ou économiques confidentielles disposent de moyens pour échapper à leur localisation. La Tunisie a besoin d'un cadre numérique et d'une institution spécialisée genre brigade spéciale. Il nous faut une institution mais aussi une législation puisqu'elle est quasi inexistante. Et même les rares textes, à l'instar des articles 199 et 199 bis, n'étaient pas appliqués», a enchaîné maître Toumi. Dans ce sens, un projet de loi visant à fournir un cadre judiciaire, juridique et sécuritaire pour contenir le phénomène de la cybercriminalité sera prochainement présenté à l'Assemblée nationale constituante. Pour sa part, Chamseddine Bernat, expert en économie numérique, s'est étalé sur les procédures internationales et le contenu des conventions internationales de lutte contre la cybercriminalité. D'après lui, ce phénomène n'obéit pas aux limites des frontières, plutôt il en profite pour se dissimuler alors que les procédures sécuritaires en la matière ont besoin davantage de célérité et de synchronisation à l'échelle internationale. Relevant les péritéties du phénomène, Bernat a affirmé que les enjeux économiques et politiques sont grands d'où on parle de cyber-guerre dont les acteurs sont multiples et dont certains sont des Etats. L'expert a fini par insister sur la nécessité d'élaborer un code de lutte contre la cybercriminalité capable de faciliter la poursuite des criminels. Cette lutte se doit d'être en temps réel pour pouvoir aboutir à des résultats. L'usurpation d'identité, l'atteinte à la vie privée et à l'image d'autrui ont été parmi d'autres délits énumérés par Salma Khaled, avocate au barreau de Tunis. Elle a aussi évoqué l'usage juridique des mails comme preuves judiciaires, ce qui n'est pas le cas en Tunisie. De même, elle a expliqué l'exception professionnelle relative au métier de journalisme et de communication tout en démontrant les limites de la divulgation des informations dans un cadre professionnel par des employés. Dans ce sens, elle a confirmé que pour la presse électronique aucun texte spécial n'a été adopté jusque-là. Coopération internationale contre le cyberterrorisme Le colloque a vu la présence de Myriem Quemener, procureur adjoint au pôle criminel du Tribunal de grande instance de Créteil et experte internationale en lutte contre la cybercriminalité. Elle s'est étalée sur l'approche et les procédures pour lesquelles ont opté les pays européens pour lutter contre le cyberterrorisme. Affirmant que la cybercriminalité est un phénomène mondialisé, Quemener a souligné l'importance des dégâts engendrés par les trafics financiers illégaux et les actes d'escroquerie et de blanchiment et des fraudes en tous genres commis sur la Toile «Considérant le cyberterrorisme comme un domaine prioritaire, le Conseil de l'Europe est en train de réfléchir en continu sur ce sujet à travers le comité d'experts dénommé Codexter. Le comité étudie la situation dans les Etats membres afin d'évaluer si les instruments internationaux existants suffisent pour répondre à cette menace émergente. Ses travaux ont mené à l'adoption d'un avis d'expert en 2007 et à la mise en place d'une base de données sur le cyberterrorisme», a-t-elle ajouté. Un suivi des données relatives aux groupes terroristes ou favorables au terrorisme est assuré. Et outre, la convention de Budapest définit le droit matériel, les infractions et le droit processuel dont le gel des données en temps réel, ainsi que la coopération internationale, une autre convention est en vigueur entre la majorité des pays européens qui est la convention T-CY. «Les Nations unies tentent, elles aussi, de cerner le phénomène de la cybercriminalité et une convention universelle en la matière est en cours d'élaboration», a-t-elle souligné. L'experte a affirmé que la Commission européenne crée une certaine dynamique entre les pays européens pour anticiper, prévenir et lutter contre le phénomène, et ce, en collaboration avec Interpol qui fournit du soutien et de l'assistance. Quemener a, par la suite, indiqué qu'un avenant à la convention de Budapest renforcera la coopération public-privé, bilatérale ainsi que la formation des acteurs et la sensibilisation des «attachés de sécurité intérieure» et des «magistrats de liaison». Plateforme procédurale Les deux derniers acteurs sont de nouvelles procédures pour lesquelles l'Europe a opté, du moins un bon nombre de ses pays, afin de faciliter les procédures. Le tout vise à mettre en place une plateforme procédurale, notamment en matière de fishing (hameçonnage). D'après elle, cette lutte nécessite la spécialisation mais aussi il faut avoir un réseautage pour faciliter les procédures et les actions qui doivent être entreprises en temps réel comme le gel des données. Ce colloque a été l'occasion de critiquer les textes de loi tunisiens régissant la sécurité de l'informatique et le secteur Internet. Et alors que l'avocat Abdelmomen Kiwa a bien démontré les lacunes des quelques textes existants, le juge Kamel Ayari a relaté l'interférence des droits de l'Homme en tant que contrainte dans les procédures de contrôle du réseau Internet. Il a attribué le refus de la limitation d'accès à Internet, par les Etats-Unis, au désir de ces derniers de monopoliser le contrôle de cet instrument très important. Le juge a aussi effectué une corrélation entre les incidents du 11 septembre et les textes de lutte contre le cyberterrorisme qui les ont suivis. Il a indiqué qu'après une certaine expérience, plusieurs pays sont en train de repenser leurs législations pour faire sortir les cybercrimes des groupes terroristes dans un cadre juridique à part vu leur impact sur la situation politique, économique et sociale des pays ciblés. En Tunisie, le chantier doit être ouvert de nouveau mais cette fois-ci en dépit du défaut d'expérience en cette matière. Les résultats seront importants entre autres pour l'économie...