Comment faire de nos migrants une force motrice de développement national ? Notre pays est-il, aujourd'hui, en mesure d'investir dans la promotion des ressources humaines? A l'heure où le marché du travail paraît impuissant pour absorber le flux massif des chômeurs, serait-il opportun de parler de la polarisation de la matière grise déjà en fuite à l'étranger ? Pour un pays tel que le nôtre dont les ressources naturelles sont limitées, le recours à ses compétences matérielles et professionnelles s'avère plus qu'impératif afin de booster la machine économique. Toutefois, l'incapacité de l'Etat à mieux gérer son capital humain et lui ouvrir les voies de réussite et d'intégration socioéconomique demeure, entre autres facteurs exogènes et endogènes, tributaire de toutes les tentatives d'émigration clandestine. Le dilemme est bien là. Quoi qu'il en soit, il y aurait bel et bien tendance à rapprocher davantage la communauté tunisienne avec la mère patrie. Ces intentions ont été déclarées lors d'un congrès international tenu, hier à Gammarth, sur «la mobilisation des compétences d'émigrés pour le développement des pays de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient (Mena): mise à profit des compétences des jeunes migrants en particulier». A l'ouverture de cette manifestation, qui intervient peu avant le retour des Tunisiens à l'étranger, le chef du gouvernement provisoire, M. Ali Laârayedh, a souligné l'importance de chercher les moyens pratiques à même de faire de l'émigration un souci commun aux pays d'origine comme ceux d'accueil. Un facteur de développement mutuellement profitable. Des cadres et des jeunes compétences que la plupart des pays d'origine, a-t-il fait remarquer, n'arrivent pas à mettre à contribution dans l'effort de développement intégral et l'œuvre de réformes économiques et institutionnelles. Cela est dû à plusieurs raisons, en rapport avec l'absence d'une bonne gouvernance, mais aussi le manque d'incitation à l'initiative privée, dans un climat d'affaires entouré de flou et de non-transparence. Un tel vécu continue à nourrir les sentiments de déception et créer un effet contraire, ce qui a creusé de plus en plus l'écart entre ces compétences et leurs patries. En Tunisie, l'histoire du mouvement migratoire nous a appris autant de leçons. Et les cas sociaux qui avaient choisi les barques de la mort pour rejoindre les rives de l'«eldorado» européen sont bien multiples. Force est de constater que le chômage et la pauvreté ne cessent d'être la cause majeure d'une émigration sans retour. Sauf que, selon M. Laârayedh, les nouvelles donnes politiques post-révolution seraient en passe de rétablir les liens de relations entre les migrants et leur pays d'origine, dans l'objectif de les faire participer à la réussite de la transition démocratique. «Une réalité nouvelle qui nous impose de repenser le traitement de toutes les problématiques et leur apporter les solutions requises dont notamment les réformes juridiques et institutionnelles, la révision des conventions et traités en matière de migration des expertises...», a-t-il relevé. Au concret, il a été procédé, depuis l'année écoulée, à la création d'un secrétariat d'Etat chargé de la migration et des Tunisiens à l'étranger, d'un conseil consultatif en la matière et à l'amélioration des services d'accueil. Dorénavant, a-t-il poursuivi, l'accent sera mis sur la promotion d'une stratégie de communication et d'information visant à mettre nos émigrés au parfum des faits, au cœur de la patrie. Le tout à travers une politique nationale de migration susceptible de renforcer le rôle de nos communautés à l'étranger dans le développement du pays et d'établir de nouveaux ponts de coopération internationale, comme l'a souligné M. Houcine Jaziri, secrétaire d'Etat à la migration. Et les chiffres sont là pour mieux parler d'un flux migratoire jugé ingérable. Plus de deux millions d'émigrants officiellement déclarés, soit 10% de la population tunisienne. Sans pour autant recenser les centaines d'émigrés sans papiers, ni domiciles fixes, en proie à l'exploitation abusive des capitalistes dans les pays d'outre-mer. Il a noté que la mobilisation de ces compétences et leur mise à profit demeurent, plus que jamais, nécessaires à la lumière de ces conjonctures économiques caractérisées par la libre circulation des biens et des capitaux. Difficultés d'intégration, marché local à faible employabilité, une bureaucratie lourde et un climat social infecté de corruption et de malversation, sont autant de facteurs endogènes dont M. Jaziri a reconnu les causes et les conséquences. Cette vérité ne peut en rien occulter les motivations des offres fournies par les pays d'accueil. Pour d'autres, le fait de couper les pistes de l'émigration clandestine devrait être en tête des priorités.