Par Zouheir EL KADHI En effet, dans une crise économique contre laquelle on a tout essayé ou presque, la tentation de maintenir ou même de gagner des parts de marché par des dévaluations/dépréciations compétitives se fait de plus en plus forte. La manipulation du taux de change est en effet considérée comme un instrument de politique économique. En règle générale, on dévalue une monnaie lorsqu'un déficit conséquent se forme dans la balance des échanges courants, à un niveau qui porte le besoin de financement de la nation à des niveaux insoutenables. Deux options apparaissent alors. La première consiste à agir sur le niveau des importations en réduisant la demande intérieure. Nul n'ignore aujourd'hui que l'économie tunisienne passe par une période difficile et complexe. Dans ce contexte assez fragile où les politiques monétaire et budgétaire semblent atteindre leur limite, les autorités disposent de quelques petites marges de manœuvre en recourant à la politique de change. Une dévaluation du dinar, en abaissant le prix des exportations et en augmentant celui des importations, pourrait contribuer à réduire le déficit commercial. Une baisse de la valeur externe de la monnaie donnerait donc un peu d'oxygène aux exportations, asphyxiées par le marasme du commerce mondial en améliorant de facto la compétitivité-prix et elle réduirait les pressions sur les réserves de change. La destination Tunisie serait plus attrayante en termes de prix et les transferts des Tunisiens vivant à l'étranger seraient plus bénéfiques. Le prix à payer risque cependant d'être élevé en termes d'activité et donc d'emploi. La seconde option, nettement plus attrayante sur le papier, consiste à modifier, d'une part, le partage de l'offre nationale entre marché intérieur et exportations, au profit de ces dernières, et d'autre part, le partage de la demande intérieure entre offre nationale et importations, au profit de la première. En accroissant la profitabilité des exportations et en réduisant celle des importations, la dépréciation permet, en théorie, d'atteindre cet objectif. Faut-il rappeler à cet égard que la Tunisie a opté, depuis des années, pour un flottement contrôlé du dinar et on assiste à une dépréciation continue du dinar aussi bien vis-à-vis de l'euro que du dollar. A l'évidence, on peut admettre que le dinar, comme de nombreuses monnaies, subit les variations de la parité euro-dollar, mais ce qui inquiète c'est l'ampleur et la continuité de la dépréciation qui peut de plus s'autoalimenter par un effet d'anticipation. En tout état de cause, l'effet de la dépréciation sur l'économie tunisienne n'est pas un jeu à somme nulle. Il y a bien les effets positifs que nous avons évoqués comme l'amélioration du solde commercial et donc de la situation des réserves de change, l'attractivité accrue pour les touristes et la bonification des transferts des Tunisiens vivant à l'étranger. Toutefois, la baisse du dinar n'a pas que des effets positifs puisqu'une hausse mécanique des prix à l'importation risque d'alimenter davantage l'inflation. Dans une économie convalescente comme la nôtre, une chute non contrôlée du taux de change ferait vite ressurgir le spectre de l'hyperinflations car de nombreux biens de consommation sont importés. Une dépréciation pourrait également ralentir l'investissement dans la mesure où les biens d'équipement deviendraient plus chers et le poids de la dette en devises s'alourdirait encore. Pis encore pour le pays importateur net de pétrole que nous sommes, une dépréciation du dinar alourdirait la facture énergétique et donc l'enveloppe des subventions pour le carburant. Ceci aurait donc en plus des conséquences directes sur le déficit budgétaire et également commercial. Dès lors, il ne faut ni angéliser ni diaboliser la dépréciation actuelle. Il faut “simplement" veiller à ce que les effets négatifs ne l'emportent pas sur les effets positifs. Ceci étant, il faut absolument remettre la machine économique en marche et ne pas oublier qu'au problème de la dégradation du solde commercial, la solution de la dépréciation est artificielle et donc temporaire. Si elle peut apporter un peu d'oxygène à un moment où nous en avons grandement besoin, elle ne nous permettra pas de faire l'économie de mesures structurelles.