Par Mounir BOUALLEGUE Dieu, protégez-mois de mes amis, quant à mes ennemis, je m'en charge ! Nul doute que le président syrien Bachar Al Assad se trouve aujourd'hui amèrement confronté aux réalités de cette triste boutade napoléonienne qui illustre la situation tragique créée, ex nihilo, par les puissances occidentales qui ont réussi à entraîner dans leur sillage une horde stipendiaire de sbires locaux. Dans un bric-a-brac politique, la coalition s'évertue à promouvoir, à l'esbroufe, des points de vue divergents. D'un côté, le secrétaire d'Etat américain déclare à la sortie de la dernière conférence des Amis de la Syrie qu'il ne peut rien décider sans en référer au président Obama et sans en informer le Congrès, alors que de son côté, l'ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar pousse à la roue en guise de baroud d'honneur avant son limogeage à la suite de la passation du pouvoir au sommet de l'Etat qatari. Par ailleurs, les faucons de la onzième heure poussent des cris d'orfraie affirmant que l'Etat syrien avait utilisé l'arme chimique contre son peuple. Sans parler de la Turquie qui avait d'autres chats à fouetter, ni de notre politique étrangère qui prend dans cette affaire des décisions diplomatiques assurément inédites et qui soulèvent aujourd'hui la légitime question de savoir ce que diable nous sommes allés faire dans cette galère. Toutes tendances confondues, les ornières dans lesquelles s'empêtrent les artisans de cette tragédie dégagent des relents de déjà-vu et d'interventionnisme dépassé. Dans la mémoire collective défilent le Congrès de Berlin et le démembrement de l'Empire Ottoman, les accords de Syke-Bicot ou même plus proche encore la guerre civile d'Espagne quand l'Allemagne hitlérienne avait mis à l'essai ses Stukas, ses Messerschmitts et autres Junkers sur le peuple ibérien et prêté main-forte au général Franco. Par ailleurs, ce n'est certainement pas le fait du hasard si la coalition qui s'est formée aujourd'hui contre la Syrie (à part les poissons pilotes de la politique internationale) est dirigée en bonne partie par ceux-là mêmes qui ont lancé leurs pays à la fin du siècle dernier dans l'humiliante et criminelle aventure irako-afghane. Ce qui est encore plus affligeant aujourd'hui, c'est que les chantres des droits de l'Homme et les promoteurs outre-atlantiques de cette politique qui vise encore une fois la destruction d'un pays arabe et même son éradication de la carte du Moyen-Orient, pour les visées que l'on sait, ferment les yeux sur les poutres qui obscurcissent leur propre vision. La politique étrangère des puissances européennes à l'égard de la Russie consistait de tout temps à barrer à Moscou l'accès aux mers chaudes du Levant. Ironie de l'Histoire, non seulement la Russie possède aujourd'hui une base navale sur la Méditerranée en Syrie, mais elle joue surtout un rôle prépondérant et majeur dans la crise actuelle en barrant à son tour le chemin de Damas au brouillamini de croisés qui prétend se faire passer pour un élan pour la défense de la veuve et de l'orphelin. Un autre membre de la coalition, la Grande-Bretagne, demeure conséquente avec ses options politiques traditionnelles, même les moins acceptables. Déjà Lord Palmerston, Premier ministre de 1859 à 1865, aurait répondu à l'ambassadeur de France : «Sachez M. l'ambassadeur que l'Angleterre n'a pas des amitiés permanentes, elle n'a que des intérêts permanents». Quelques années plus tard, Disraeli, alors Premier ministre de la Reine Victoria, aurait repris la même formule. Dans une intervention à la Chambre des communes, Winston Churchill, alors ministre de la Guerre, souleva le 25 octobre 1919 deux questions qui hantent à ce jour le Moyen-Orient qui sont à l'origine de tous les conflits qui déchirent la région. I : «Nous avons rassuré les juifs quant à notre promesse de les introduire en Palestine où la population arabe locale sera déplacée à la convenance des nouveaux occupants». II : «L'Empire Ottoman devrait être rétabli dans ses frontières d'avant-guerre et les puissances européennes devraient renoncer à leurs revendications sur la Syrie, la Palestine et tout autre territoire dans la région». Plus tard, dans un mémorandum adressé le 23 novembre 1920 au cabinet que dirigeait le Premier ministre Llyod George, Churchill signala de nouveau ce qui suit : «Nous devons nécessairement recréer la barrière turque afin d'endiguer les ambitions russes qui demeurent notre plus grande préoccupation. Pour réussir, notre politique étrangère devrait plutôt consister à diviser les puissances locales de telle manière que dans le cas où certains seraient nos adversaires, nous pourrions être sûrs que nous avons également des alliés. C'est ainsi que nous nous sommes toujours comportés tout au long de notre longue histoire. De conférence en conférence, la coalition s'éternise à gloser sur le pouvoir syrien au travers d'une gamme de péchés capitaux dont on l'affuble et qui vont de la dictature primaire à l'utilisation d'armes chimiques contre sa propre population. Les quelques rencontres organisées à la hâte n'ont abouti à rien d'irréparable, c'est-à-dire l'irakisation de la Syrie, grâce à la position ferme de la Russie qui, dès le déclenchement de la campagne euro-américaine, a correctement jugé les véritables objectifs de la coalition et saisi le tréfonds géopolitique de la tentative masquée occidentale d'investir le Moyen-Orient après la déconfiture de l'intervention en Afghanistan et en Irak. Pendant la guerre entre l'Irak et l'Iran, un journaliste avait demandé à Henry Kissinger vers quel adversaire Washington penchait. La réponse de Kissinger fut très claire : «Dans l'intérêt des Etats-Unis, nous espérons qu'il y aura deux vaincus». No comment. *(Citoyen tunisien)