Tel un tract, la pièce, donnée dans le cadre de Dougga Festhéâtre, accuse et récuse, va le plus loin possible et hausse le ton, au risque de tomber dans le discours direct et l'approche frontale. Insolite fut l'expérience que nous avons vécue samedi dernier au théâtre romain de Dougga. Une expérience qui nous a invités à faire un grand saut dans le passé lointain, où nos ancêtres les Romains présentaient des pièces à la lumière du jour, et n'avaient comme effets spéciaux et éclairage de scène que les variantes de lumières entre chien et loup, le crépuscule jusqu'au coucher du soleil. Après une première au théâtre de Chaillot, une représentation discrète et non médiatisée à Médenine, Jaïbi a accepté de jouer le jeu de Dougga Festhéâtre et de donner son nouveau spectacle «Tsunami» (*), encore frais et fragile, à 18h00, en pleine lumière du jour, sur la scène du théâtre antique et dans le cadre des activités culturelles et artistiques de l'association «Kolna Tounès». Le duo Jaïbi-Baccar qui, depuis des décennies, dépeint la Tunisie dans tous ses états avec un théâtre politique qui n'a jamais eu la langue dans la poche, n'allait pas déroger à la règle avec «Tsunami», une pièce politique par excellence. Dorra, une jeune fille de vingt-cinq ans, fille d'un responsable politique islamiste, s'enfuit lorsqu'elle découvre qu'on veut la marier, contre sa volonté, à un cousin. Elle découvre les mille et un visages de la société tunisienne, dont celui de Hayet, une femme d'une soixantaine d'années, ancienne militante de gauche et des droits de l'Homme, qui a vu tous ses rêves de mutation et d'évolution sociales s'effondrer. Se noue, ainsi, entre elles une relation dialectique et affective qui nous fait découvrir la complexité d'une société qu'elles voient se diriger vers la guerre civile. Les deux personnages féminins de «Tsunami» cristallisent les enjeux et les contradictions de la révolution tunisienne en mettant au centre la condition des femmes et de la jeunesse. Et l'on se rappelle une ancienne interview que nous a accordée, sur ces mêmes colonnes, Jalila Baccar un mois à peine après le 14 janvier 2011 et où elle nous avait confié ses angoisses. Elle avait qualifié la révolution de «Tsunami», cette grosse vague qui vient bouleverser l'ordre, balayant tout sur son chemin et qui, quand elle se retire, laisse derrière elle un terrain boueux où s'emmêlent autant de belles que d'horribles choses. Et c'est cette pensée-là, nous semble-t-il, qui a constitué le fil conducteur de l'œuvre. Il est vrai que le discours politique prend le dessus dans ce travail et que le texte de Jalila Baccar ne se dérobe point pour dire et dénoncer, d'une manière crue —peut-être même grossière pour certains goûts— les déviations, l'extrémisme et les esprits obtus, violents... Mais ce parti pris s'inscrit certainement dans la démarche qu'ont choisie Fadhel et Jalila, depuis un long moment. On ne peut, bien entendu, porter la lecture de ce spectacle au-delà du texte et d'une partie de la mise en scène, puisque la représentation de Dougga a été «amputée» d'une grande partie des artifices et de beaucoup d'éléments de l'écriture dramaturgique, mais ce qui nous reste de cette représentation, c'est la mise à nu d'une situation politique chaotique, du perpétuel duel entre obscurantisme et progressisme, la dénonciation de toute forme de violence. Tel un tract, «Tsunami» accuse et récuse, va le plus loin possible et hausse le ton, au risque de tomber dans le discours direct et l'approche frontale qui déplaît à certains, mais que Jalila et Fadhel trouvent, certainement, utile et nécessaire, voire primordiale, pour porter la voix haut et fort et exprimer sa pensée, librement et sans détour. Comme «le rap conscient», une forme de manifeste qui, au-delà de l'œuvre artistique, se doit de jouer un rôle social et politique, le théâtre de Jaïbi est plus que jamais politique. «Tsunami» est une pièce sombre, pessimiste, qui annonce le pire. Espérons qu'elle ne sera pas prémonitoire, comme le fut l'autre pièce de Familia Production, «Yahia Yaïch». Tsunami dans sa version intégrale sera présentée au public tunisien le 16 juillet sur la scène du Festival international de Carthage. (*) Jalila Baccar, Ramzi Azaiez Fatma Ben Saïden.