Le «gouvernement national de salut» n'a aucun fondement juridique Les appels à dissoudre l'Assemblée nationale constituante ne cessaient de se multiplier bien avant l'assassinat de Mohamed Brahmi. Plusieurs partis politiques, des organisations de la société civile, des avocats et même de simples citoyens n'ont plus confiance aux élus du 23 octobre 2011, malgré certains progrès enregistrés dans la rédaction de la nouvelle Constitution. On juge que la rédaction a pris beaucoup de temps et que le texte est bourré d'incohérences et d'insatisfactions. D'un point de vue juridique, l'ANC ne peut pas être dissoute par la démission ou le retrait d'un certain nombre de ses membres. Or, d'après Kaïs Saïed, professeur universitaire de droit constitutionnel, «dans un processus révolutionnaire le problème ne se pose plus uniquement d'un point de vue juridique. L'ANC pourrait s'autodissoudre sous pression de la rue...». Insistant sur le fait qu'on n'en est pas encore là, M. Kaïs Saïed explique à La Presse que si l'ANC reconnaît son échec et décide de prendre ses responsabilités et s'autodissoudre, elle doit d'abord statuer sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics qui vont prendre le relais, et ce, pour éviter le vide politique et juridique. L'échec général constaté à plus d'un titre concerne essentiellement la rédaction de la Constitution qui a pris plus de temps que prévu initialement lors des élections, ce qui fragilise d'une certaine manière la légitimité de cette assemblée. L'échec est également constaté au niveau de la gestion du pays et notamment de la crise actuelle qui, selon M. Saïed, devait être à la hauteur de l'événement avec la mobilisation de moyens différents et un discours différent. « L'Homme de l'Etat doit être capable non seulement de gérer les affaires de la nation mais aussi le cours de l'histoire », insiste-t-il. Sur ce plan, l'échec est total. Quelle issue? Quelle suite donc ? Le gouvernement national de salut serait-il en mesure de prendre le relais ? Le spécialiste du droit constitutionnel souligne que l'initiative prise par certains partis de l'opposition pour former un gouvernement de salut peut s'inscrire dans le cadre de la pression exercée sur la Troïka au pouvoir, mais elle n'a aucun fondement juridique ni révolutionnaire pour prendre le relais du pouvoir en place. M. Saïed fait même état de divergences parmi les initiateurs de ce mouvement. Admettant que la Tunisie est mal partie avec cette mauvaise performance politique, M. Saïed propose en guise de solution de construire un nouveau régime basé sur la démocratie locale. Des conseils locaux pourraient être élus au niveau de chaque délégation. De ces conseils pourraient émaner des conseils régionaux au niveau de chaque gouvernorat. Et ces conseils régionaux pourraient donner naissance à une Assemblée nationale qui sera l'émanation réelle des aspirations des citoyens et reflètera effectivement la volonté populaire. C'est une nouvelle conception en rupture totale avec le pouvoir basé sur le centre, révolu de fait, conclut notre interlocuteur.