Des milliers de manifestants ont grossi hier les rangs des partisans de l'ex-président, Mohamed Morsi, sur deux places du Caire que la police menace d'évacuer, alors que des émissaires étrangers tentent d'ultimes médiations pour éviter un bain de sang. En fin d'après-midi, les forces de l'ordre ont dispersé au gaz lacrymogène des manifestants qu'elles accusent d'avoir tenté d'attaquer un complexe abritant des médias égyptiens, très majoritairement anti-Morsi. Les protestataires ont aussitôt dénoncé «l'attaque» d'une «manifestation pacifique». Ces heurts ont toutefois eu lieu loin des deux places occupées depuis un mois par les partisans de M. Morsi pour réclamer le retour du premier président égyptien démocratiquement élu, qui a été destitué et arrêté par l'armée le 3 juillet à la suite de gigantesques manifestations populaires réclamant son départ. Jeudi, une déclaration du secrétaire d'Etat américain, John Kerry, avait alimenté la tension et provoqué la colère des Frères musulmans, dont M. Morsi est issu. M. Kerry a en effet estimé que les militaires avaient en fait «rétabli la démocratie» en déposant M. Morsi à la demande de «millions et de millions» de manifestants. L'opposition reprochait aux Frères musulmans d'accaparer tous les pouvoirs et de ruiner une économie déjà exsangue. Les Etats-Unis, qui accordent chaque année environ 1,3 milliard de dollars à l'armée égyptienne, se sont gardés, comme le reste des puissances occidentales, de qualifier de coup d'Etat l'intervention des militaires. «L'armée n'a pas pris le pouvoir, d'après ce que nous pouvons en juger, jusqu'à présent. Pour conduire le pays, il y a un gouvernement civil. En fait, elle rétablissait la démocratie», a estimé M. Kerry. Il y a un mois, le commandant en chef de l'armée, ministre de la Défense et nouvel homme fort du pays, le général Abdel Fattah Al-Sissi, a annoncé la destitution de M. Morsi, détenu au secret depuis. Hier, M. Kerry a de nouveau plaidé pour «un retour à la normale» en Egypte. Hagel pourrait-il «destituer Obama» ? «Le secrétaire d'Etat Kerry accepterait-il que le secrétaire (américain) à la Défense, Hagel, destitue Obama si d'importantes manifestations avaient lieu en Amérique ?», a rétorqué hier Gehad el-Haddad, porte-parole des Frères musulmans. «Nous n'attendons rien des Etats-Unis (...), complices du coup d'Etat militaire». Dans le même temps, les Frères musulmans ont appelé leurs partisans à venir grossir les rangs des sit-in au Caire pour une marche «pacifique» hier, jour de la Grande prière et en plein Ramadan. «A bas Sissi, Morsi est notre président», scandaient les manifestants en ville, en référence au général que tout le monde désigne comme le véritable homme fort et déjà adulé par une grande partie des Egyptiens et de la presse du pays. Ses portraits ornés de slogans flatteurs fleurissent partout dans les rues et dans les journaux. Jeudi, le ministre de l'Intérieur, fort du mandat reçu la veille du gouvernement intérimaire mis en place par l'armée, «pour mettre un terme à la menace pour la sécurité nationale» et au «terrorisme», a exigé des manifestants qu'ils quittent «rapidement» les places occupées, leur promettant une «sortie en toute sécurité». «Situation explosive» Les nouvelles autorités s'appuient sur le mécontentement d'une très grande partie du peuple égyptien à l'égard du gouvernement de M. Morsi, relayé par la presse quasi-unanime qui qualifie quotidiennement les occupants des places Rabaâ et Nahdha de «terroristes». Mais leur impatience à disperser les manifestants est tempérée par le ballet diplomatique dont Le Caire est le théâtre depuis des jours, la communauté internationale, Union européenne en tête, pressant à la fois les autorités à faire preuve de retenue et les Frères musulmans à évacuer les places. Selon des observateurs, ces tentatives ont toutefois été vaines jusqu'à présent. L'un de ces médiateurs européens, le chef de la diplomatie allemande, Guido Westerwelle, a jugé jeudi soir que la situation était «explosive» en Egypte. La communauté internationale redoute un bain de sang: plus de 250 personnes ont déjà été tuées en un mois, essentiellement des manifestants pro-Morsi lors d'affrontements avec les forces de l'ordre ou avec des opposants au président déchu. L'émissaire de l'Union européenne, Bernardino Leon, arrivé jeudi, devait poursuivre hier les efforts de médiation. Et Le Caire a annoncé hier la visite-surprise dans la soirée du secrétaire d'Etat adjoint américain, William Burns. Le quotidien gouvernemental Al-Ahram, citant des sources sécuritaires, assure que la police a mis au point un plan d'évacuation des places du Caire mais n'a pas encore décidé du moment de l'intervention, le gouvernement «espérant» toujours une «dispersion pacifique».