De notre envoyé spécial en Egypte Soufiane Ben Farhat Plus de 50 morts et près de 440 blessés. Les Frères musulmans appellent au «soulèvement» L'Egypte s'est réveillée hier avec une gueule de bois plutôt sanglante. Plus de 50 personnes ont été tuées hier à l'aube lors d'une manifestation pro-Morsi. De part et d'autre, l'on se jette l'anathème, par communiqués interposés. Pour les Frères musulmans, une foule de partisans du président déchu priait devant les locaux de la Garde républicaine lorsque des soldats et des policiers les ont pris pour cible. L'armée, quant à elle, soutient que des terroristes avaient attaqué le siège de la Garde républicaine, tuant un officier et six conscrits. Des témoins oculaires ont rapporté que les forces de l'ordre avaient tiré en l'air mais que les tirs directs venaient d'étranges hommes en civil. La tension est montée hier à son paroxysme. Le président intérimaire, Adly Mansour, a ordonné l'ouverture d'une enquête judiciaire sur ces violences. Le lourd bilan des victimes fait enrager même les plus radicaux dans la mouvance anti-Morsi. Et pour cause, au moins 51 morts et 435 blessés aux dires des services des urgences. De son côté, la confrérie des Frères musulmans a appelé tout de go au soulèvement. Entre-temps, l'armée a exhorté les partisans de Mohamed Morsi à lever leurs sit-in. Tout en se disant fermement opposée à toute attaque ou atteinte aux symboles de l'armée nationale. En fait, la spirale de la violence meurtrière bat son plein au pays du Nil. Depuis précisément la destitution et l'arrestation de Mohamed Morsi mercredi dernier par l'armée. On compte désormais plus de 120 morts. Le Caire offre le spectacle navrant des antinomies égyptiennes. Place Ettahrir, des dizaines de milliers de gens affichent leur refus des Frères musulmans. Ils soutiennent ouvertement le général Abdelfattah Sissi, qui a ordonné la destitution et l'arrestation de Morsi ainsi que de hauts dirigeants et dignitaires islamistes. A les entendre, la révolution égyptienne a entamé une nouvelle phase suite aux manifestations anti-Morsi du 30 juin dernier. Des dizaines de millions d'Egyptiens y avaient pris part. Deux jours après, le général Sissi ordonnait, destituait et arrêtait Morsi. Et mettait fin à son règne qui n'aura duré qu'une année, avec un bilan plutôt morose, sanglant et lourd. Autre lieu, autre topo. Place Rabaa Adawiyya et tout autour du siège de la Garde républicaine, les pro-Morsi ne désemplissent pas. Ils affichent leur volonté de faire face à ce qu'ils considèrent comme un coup d'Etat de l'armée contre la légalité. Des tractations politiques ont lieu dans les coulisses. Paradoxalement, elles rassemblent les extrêmes. Cela va du parti d'extrême droite salafiste Ennour aux factions libertaires du mouvement Tamarrod, en passant par les mouvances de droite et de gauche libérale. Le chef de l'Etat provisoire est dans l'embarras. Autant Morsi divisait, autant il se retrouve aux confluents des antagonismes les plus tranchés. Sa tentative de nomination du revenant Mohamed El-Baradei à la tête du gouvernement piétine. Même si ce dernier tient un discours conciliateur. Pour ses contradicteurs, il traîne trop de casseroles criardes. Le consensus pro-Sissi vacille Et puis, après le carnage d'hier à l'aube, les salafistes ne sont plus aussi mordants que lors des derniers jours à l'endroit des Frères musulmans. Ce faisant, le consensus fragile pro-Sissi vacille. Il ne pourra tenir au gré des vicissitudes antagoniques, voire sanglantes. Pour l'instant, on mobilise le ban et l'arrière ban, des deux côtés. La semaine promet d'être particulièrement chaude. D'autant plus que l'irruption, dans quelques heures, du mois saint de Ramadan, ne semble point émousser les fureurs guerrières des uns et des autres. L'armée égyptienne a en tout cas ordonné la fermeture du siège de quelque mouvance islamiste. Motif, on y aurait trouvé des armes et des munitions. Ainsi, le siège du Parti de la liberté et de la justice a-t-il été fermé hier, sur décision des autorités, après la découverte dans ses locaux «de liquides inflammables, de couteaux et d'armes». Au Caire, l'atmosphère est viciée. Elle s'apparente à une veillée d'armes. Le Nil semble charrier des larmes, des pleurs, des regrets. Et puis ce brusque mal du pays à la veille de Ramadan...