L'une des compagnies de danse les plus légendaires s'est produite, dans la soirée de samedi dernier, sur la mythique scène de l'amphithéâtre romain. Un moment fort. Très fort... Epoustouflante, exceptionnelle, monumentale, sensationnelle, gigantesque, magique, féerique, magistrale, renversante, prodigieuse, impressionnante...Comment qualifier ou décrire la performance de Fire of Anatolia, l'une des trois meilleures formations de danse au monde, présentée samedi dernier devant le public tunisien? De toute évidence, les mots ne sauraient rendre compte, cette fois, des prouesses accomplies par les danseurs turcs, et tout le staff technique de la troupe derrière. Il fallait tout simplement être là, voir de ses yeux, écouter de ses oreilles et sentir de son cœur, voire de tout son corps ! Que dire, en effet, d'une compagnie qui a joué devant vingt millions de spectateurs dans 85 pays, et qui est entrée deux fois au Guinness book par la danse la plus rapide (241 pas en une seule minute) et par le plus grand nombre de public (400 000, lors d'un seul spectacle donné dans une région de la Mer noire) ? Quand l'Art rencontre l'Histoire... Une heure et demie durant, les danseurs ont raconté, à travers plusieurs tableaux et dans un enchaînement chronologique progressif, la riche histoire de l'Anatolie, terre de plusieurs peuples, cultures et civilisations. Une mosaïque formée des legs des Hittis, des Hourrites, des Phrygiens, des Cimmériens, des Grecs, des Arméniens, des Perses, des Galates, des Romains, des Byzantins et des Ottomans qu'ils ont rendus sur scène. Dans un magnifique mélange entre danses — folklorique, classique, orientale, moderne et théâtre du geste —, et sous les rythmes d'une musique originale tantôt vive, tantôt solennelle, tantôt tragique, ils ont interprété les mythes et légendes de cette région du monde. La trame de fond qui unit toutes les scènes est le combat entre les forces du bien et les forces du mal. Un combat — lieu de tous les paradoxes : amour, guerre, paix, lamentations, joie, mysticisme, féminité, virilité, euphorie, etc. Le spectacle, divisé en deux parties, a été ouvert par un clin d'œil au fameux feu sacré du Mont Nemrut et la « création » de l'Anatolie. Puis, les danses et les scènes se sont succédé non-stop, avec des costumes à chaque fois différents, pour une interprétation artistique de haut niveau, d'un « mille-feuilles historique » où l'Orient embrasse l'Occident et où le profane se mêle au sacré. Incarnation de la perfection Les soixante danseurs présents sur scène (cette dernière était trop exiguë pour contenir les 120 éléments de la troupe) formaient un seul corps, un corps qui se déconstituait et se reconstituait au gré des tableaux. Les mouvements des « sultans de la danse » étaient vifs, gracieux, avec une synchronisation et une précision inouïes et une énergie sensationnelle, débordante. Leur prestation était d'une échelle surhumaine. Humains, ces artistes l'étaient-ils vraiment ? Par ailleurs, le jeu live sur les grands tambours de guerre et les solos de percussions (proches de la darbouka) étaient également au rendez-vous. Leur écho faisait vibrer l'amphithéâtre romain de Carthage et résonnait dans les corps des spectateurs. C'était l'un des moments forts du spectacle. Vraiment ! Les danseurs de Fire of Anatolia nous ont offert un show spectaculaire, hors du commun. Vu le contexte économique actuel, c'est une prouesse que Mourad Sakli, directeur du festival, a pu réussir en faisant venir cette légendaire compagnie dont le carnet est bouclé, tenez-vous bien, jusqu'en 2015 !. Rappelons, tout de même, que Fire of Anatolia, fondée en 1999 et dirigée par Mustafa Erdogan, s'est produite pour la troisième fois en Tunisie. Pourquoi pas nous ? La prestation de Fire of Anatolia et toute sa beauté n'ont pas été sans nous rappeler la situation de la danse et des danseurs sous nos cieux. Elles n'ont pas pu empêcher de voir défiler dans notre tête les images du chantier en statu quo de la Cité de la Culture et de nous attrister. Pendant tout le spectacle, une question ne nous quittait pas : Pourquoi pas nous ? Pourquoi cette absence de telles formations ? Pourquoi cette faible tradition dans le domaine du spectacle total? Est-ce le moment de débattre de ce sujet ? Certainement, malgré toutes les difficultés et toutes les contraintes, car la révolution se fait aussi et surtout par la culture. Ne l'oublions pas !